Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On pourrait se demander également jusqu’à quel point les patrons officiels de l’aventureux consul doivent être tenus pour responsables des excentricités qu’il a pu se permettre. Cette question est relativement facile à résoudre. L’Angleterre en général prend un assez grand souci de sa dignité pour qu’on ne l’accuse pas d’en faire aisément le sacrifice : quand elle s’y résigne, elle obéit à des motifs exceptionnels qui supposent un intérêt puissant et grave. Cet intérêt n’existait pas pour elle au commencement de l’année 1864 sur la côte du Dahomey, tout le prouve surabondamment. Les hésitations du foreign-office, le temps qu’il laissa écouler avant de répondre par une mission en bonne forme aux instances du capitaine Burton, les termes dans lesquels cette mission lui fut confiée, la modicité des présens destinés à en assurer le succès, témoignent assez du peu d’importance qu’on y attachait. En ajoutant cette démarche à toutes les tentatives déjà faites pour saper et détruire la traite des noirs, en y joignant une démonstration plus ou moins solennelle de l’horreur que lui inspirent les sacrifices humains, lord John Russell ne songeait probablement qu’à remplir un devoir d’honnête homme, tout en saisissant l’occasion d’encourager un explorateur intrépide. Il n’ignorait pas d’ailleurs combien il fallait peu compter sur les résultats immédiats d’une pareille mission. Dans tous les pays d’Afrique où le commerce des noirs n’a pu être complètement anéanti, — où par conséquent des guerres annuelles existent à l’état d’institution politique, — l’agriculture souffre, et l’insécurité des communications, empêchant les produits de l’intérieur d’arriver jusqu’à la côte, paralyse toute autre exportation que celle de la « marchandise humaine. » Ces phénomènes, parfaitement logiques et bien connus du gouvernement des trois royaumes, expliquent l’indifférence avec laquelle il accueillait les propositions du roi de Dahomey, lorsque ce dernier offrait de favoriser autant qu’il était en lui le développement du commerce anglais à Whydah. Le refus à peine déguisé qu’on opposait à ces avances tout à fait spontanées démontre jusqu’à l’évidence que l’envoi du capitaine Burton était bien en réalité une mesure de simple philanthropie, sans aucune arrière-pensée d’intérêt positif, et dès lors il demeure inadmissible pour tout homme sensé que cette mission pût comporter, dans l’esprit de ceux qui la donnèrent, les complaisances extrêmes, les étranges sacrifices d’amour-propre auxquels voulut bien condescendre celui qui l’avait reçue. Bien qu’elle n’ait pas cru devoir un désaveu formel au zèle excessif de son représentant, la diplomatie britannique en cette occasion ne saurait être solidaire des innovations qu’il a risquées et de l’échec qu’elles lui ont valu.


E.-D. FORGUES.