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Européens, quitta ses logemens et repartit en toute hâte. Quant au gouvernement du taïkoun, mis en demeure de poursuivre et de punir les assassins, il répondit d’une façon évasive. Shimadzo était déjà loin, et il était impossible de savoir quels étaient, parmi ses gens, les véritables meurtriers. Le prince de Satzouma était d’ailleurs puissant, et résisterait par la force à toute demande de satisfaction. Les Européens, ainsi éconduits, se résignèrent à temporiser. La situation intérieure du Japon paraissait du reste à la veille de subir une crise décisive. On avait appris que les grands daïmios, hostiles aux étrangers et groupés autour du trône du mikado, travaillaient activement à perdre le taïkoun dans l’esprit du souverain spirituel et légitime, et que le second chef du Japon avait reçu l’ordre de venir à Miako ou plutôt à Kioto[1] justifier sa conduite.

Le taïkoun se mit en route au commencement de 1863, et il annonça en partant aux ministres des puissances qu’il n’épargnerait aucun effort pour arranger pacifiquement les affaires des Européens ; il avait, disait-il, reçu du mikado l’ordre de les expulser, et comme le refus d’obéir à cette injonction entraînerait pour lui-même la perte de son pouvoir, il allait tout d’abord feindre de céder, de façon à gagner du temps et à ramener le mikado à une politique meilleure et plus juste. À plusieurs reprises le taïkoun avait, devant les représentans étrangers, rejeté tout le mal sur les daïmios, et chaque fois on lui avait offert, dans le cas où il serait forcé d’engager la lutte avec le parti des grands feudataires hostiles, l’appui matériel et armé des puissances signataires des traités de 1858 ; mais le taïkoun avait toujours répondu que c’était là un moyen extrême auquel il n’aurait sans doute pas besoin de recourir, et que, si la guerre éclatait jamais entre lui et les daïmios, le succès de sa cause était assuré. Quelle que fût la pensée véritable du taïkoun, il est certain qu’un peu avant son départ, le gouvernement de Yédo redoublait d’activité dans l’organisation de ses moyens d’attaque et de défense. Il avait formé des corps d’officiers et d’ingénieurs à l’européenne, il avait envoyé de jeunes Japonais en Hollande pour y recevoir une éducation militaire et scientifique, car il faut remarquer que, de tous les pays orientaux, le Japon est le seul qui n’accepte pas les services d’officiers étrangers ; il avait établi des fabriques de canons et de fusils, et ses efforts se tournaient même vers la création d’une marine militaire. La forme élémentaire des jonques japonaises, fidèlement conservée depuis des siècles, ne se prêtait guère à un service de ce genre ; on construisit quelques navires à voiles sur des modèles européens, et, l’industrie

  1. La première capitale du Japon s’appelle, ou le sait, Kioto ; le mot Miako, par lequel on la désigne sur nos cartes, signifie simplement capitale.