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on remarque, à la lunette, une troupe d’hommes réparant une batterie ; des officiers, reconnaissables à leurs brillantes armures, dirigent les travailleurs.

Aussitôt que l’on eut mouillé, les dispositions furent prises pour l’embossage ; l’ennemi, qui eût pu gravement contrarier cette opération, ne changeait pas cependant le pointage de ses pièces, qui demeuraient silencieuses[1]. À sept heures, la Sémiramis commence le feu, dirigé avec régularité et une grande justesse sur la batterie, dont les parapets volaient en poussière, sur le village où les soldats avaient été aperçus, et sur l’édifice à terrasse blanche. Les Japonais s’étaient réfugiés dans les bois. D’autres boulets, lancés sur la route de Simonoseki, où l’on remarquait du mouvement, produisirent un effet semblable. L’ennemi ne répondant pas, le tir ne fut continué que très lentement sur la batterie et les points environnans.

Vers neuf heures, la côte paraissant abandonnée, le Tancrède, qui prenait la batterie d’enfilade, reçut l’ordre de se porter en avant dans la passe, afin de reconnaître les ouvrages plus éloignés. Il appareilla et passa le long de notre bord. Un moment après, comme il se présentait dans la ligne de tir de la batterie, celle-ci se couronna tout à coup de servans et ouvrit sur l’aviso un feu à ricochet fort bien dirigé. Le Tancrède stoppa sa machine et riposta de ses quatre pièces, tandis que la frégate couvrait de projectiles les parapets de l’ennemi. Nos boulets à percussion éclataient sur les pièces et renversaient les servans. La batterie n’avait pas tiré une douzaine de coups qu’elle était évacuée par ses défenseurs. Le Tancrède en même temps opérait son évolution un peu plus loin. Il mouilla près de nous sans avoir été inquiété, et le lieutenant de vaisseau Julhiet, capitaine de cet aviso, vint à bord de la Sémiramis. Il avait, disait-il, reconnu sur l’avant, du côté de Simonoseki, d’autres ouvrages qui s’apprêtaient à faire feu à leur tour. Quant au Tancrède, trois boulets l’avaient sérieusement atteint, l’un traversant la coque à la flottaison, les deux autres coupant son mât d’artimon et son petit mât de flèche. L’expérience que l’on venait de faire prouvait clairement que notre tir, quelque bien dirigé qu’il fût, n’empêcherait pas les Japonais de reprendre leur feu tant qu’ils auraient encore une pièce en état de servir. L’amiral décida en conséquence que les troupes de débarquement iraient s’emparer de la batterie, la détruire, occuper le village et le château, faire en un mot dans ce rayon tout le mal possible à l’ennemi. Pendant que les hommes

  1. Il est difficile de s’expliquer le silence de l’ennemi, qui était à ses pièces. Il est probable que, ne pouvant tirer sur la frégate sans envoyer des boulets dans un des grands villages près desquels nous nous trouvions, il eut ordre de ne pas faire usage de ses pièces dans de telles conditions.