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couchant colorait de reflets violacés. La nuit était venue que nos yeux cherchaient encore, à travers les ténèbres, à saisir les aspects de cette belle nature. Nous jetâmes l’ancre un peu au-delà d’une baie au fond de laquelle se dessinaient vaguement les murs et les hautes tours du château de Mihara. Le lendemain, nous entrions dans la mer d’Osaka par le détroit qui sépare l’île Nipon d’Awasisima, et deux jours après, le 24 au matin, nous étions mouillés à Yokohama, où le Tancrède nous rejoignit bientôt.

La France n’avait pas seule tiré vengeance des actes perfides d’hostilité dont le détroit de Simonoseki avait été le théâtre. La corvette américaine le Wyoming, partie également, on le sait, pour la Mer-Intérieure, avait, peu de jours avant notre arrivée sur les lieux, pris la plus audacieuse revanche de l’acte d’agression commis sur le Pembroke. Le Wyoming, bâtiment à marche rapide et calant peu d’eau, ne portait qu’un petit nombre de pièces et deux énormes canons de 110 livres. Arrivé en vue de l’entrée intérieure du détroit, il s’y engagea à toute vitesse, sans répondre au feu des deux ou trois batteries qui le saluèrent successivement. L’équipage était couché sur le pont ; les boulets passèrent, faisant peu ou point de dégâts. Le navire, ainsi arrivé près des bâtimens de Nagato, mouillés devant Simonoseki, lâcha subitement sur cette flottille sa bordée de tribord. Un projectile de la pièce de 110, lancé presque à bout portant sur le vapeur le Lancefield, en ce moment chargé de monde et se disposant à l’attaque, traversa sa coque et sans nul doute la chaudière, car on vit les Japonais se précipiter à la mer devant des flots de vapeur. Une minute après, comme les autres batteries se démasquaient dans la seconde partie du détroit, le commandant du Wyoming fit évoluer le bâtiment pour revenir sur ses pas. Malheureusement la corvette s’échoua dans cette opération, rendue difficile par l’étroitesse de la passe, et devint un but immobile au feu croisé de plusieurs batteries ; en quelques minutes, le côté faisant face à l’ennemi fut criblé de projectiles ; douze hommes, dont six mortellement frappés, venaient de tomber sur le pont du navire. Ayant enfin réussi à se dégager, le Wyoming reprit sa marche en sens contraire, envoya en passant une seconde bordée aux navires, dont l’un coulait bas, et, défilant une seconde fois sans répondre devant les batteries de l’entrée du détroit, se retrouva bientôt dans la Mer-Intérieure. Quelques jours après, la corvette rentrait à Yokohama pour réparer ses avaries.

Du 8 au 20 juillet, quatre engagemens s’étaient donc succédé dans ces parages. Le détroit restait fermé, car le prince de Nagato, malgré la destruction d’une partie de ses navires et de ses batteries, pouvait, en peu de temps, créer de nouveaux obstacles ; mais la France et l’Amérique avaient maintenu sauf l’honneur de leur