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traités et des événemens qui les ont suivis. Le gouvernement de Yédo, en ouvrant inopinément le pays aux nations étrangères, avait violé un article fondamental des lois de l’empire) il l’avait fait sans l’assentiment des grands feudataires, et l’on comprend que ceux-ci, dont l’intérêt est très opposé à celui du taïkoun, cherchent sans cesse, par dépit, par conviction, aussi peut-être par point d’honneur, à réduire ou à rompre des traités qui n’ont pas eu leur sanction.

Une nouvelle venue de l’intérieur dans le courant d’octobre 1863 ne tarda pas à confirmer ce qu’on savait déjà des ambitieux projets du prince de Nagato. Un corps assez nombreux d’officiers de ce daïmio avait, disait-on, attaqué près d’Osaka le palais où se trouvait le mikado dans l’intention de s’emparer de sa personne. Après un sanglant combat avec les gardes de l’empereur, les assaillans avaient été définitivement repoussés. Il est inutile de dire qu’interrogés par les ministres étrangers sur la réalité de ces bruits, les gouverneurs de Yokohama les déclarèrent controuvés ; d’après eux, une simple attaque tentée près de Kioto contre un bureau de collecteur d’impôts par une bande de lonines avait donné lieu à cette fable. Un peu plus tard toutefois, les membres du gorodjo avouèrent aux mêmes ministres la réalité des faits qu’ils avaient eu tout d’abord l’intention de dissimuler[1].

Tous ces incidens révélaient clairement la prédominance dans les conseils de l’empire japonais du parti hostile aux étrangers. Le gouvernement du taïkoun, complice ou non, cédait devant cette

  1. Le prince de Nagato avait résolu de s’emparer de la personne du mikado, espérant ensuite, en le gardant auprès de lui sous prétexte de dangers courus par ce souverain, se faire conférer le titre qu’il ambitionnait. Il avait écrit au mikado une lettre où, lui parlant des périls qui menaçaient l’empire et de la nécessité d’appeler à son secours l’intervention divine, il le conjurait d’aller, au temple d’Hatchiman-sama, prier les mânes de ses ancêtres. Aucun empereur n’avait, disait-il, manqué d’accomplir ce devoir au moins une fois pendant son règne. Le mikado, cédant à cette prière, avait quitté, son palais de Kioto pour se rendre au temple d’Hatchiman, distant de la ville de quelques jours. C’est alors que le prince de Nagato avait tenté son coup de main, qui fut déjoué par la résistance de la garde du mikado. À la suite de cette agression, le daïmio fut, parait-il, mis hors la loi, ainsi que sa famille et ses serviteurs. Les officiers du taïkoun se portèrent sur le palais que ce prince possédait à Yédo. Ses serviteurs furent massacrés, l’habitation fut détruite, le terrain bouleversé, et les débris en furent transportés au loin pour qu’il n’en restât aucune trace. On doit rappeler à ce propos l’obligation imposée à tout daïmio d’avoir dans la capitale du taïkoun un palais où sa femme et ses enfans demeurent constamment comme otages, où lui-même est forcé de venir résider à des époques périodiques pour renouveler son serment de fidélité. Cette obligation s’est maintenue jusqu’à nos jours. Cependant en 1862 le bruit se répandit (sans avoir été confirmé depuis lors) qu’à la faveur des troubles du pays et de l’ébranlement du pouvoir du taïkoun, un certain nombre de princes venaient de s’y soustraire. On avait remarqué de longs convois, ceux des familles de daïmios, qui abandonnaient les palais de Yédo pour se retirer dans les provinces.