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séquestration de trois siècles, que les Japonais avaient rompue de leur plein gré, et qu’il était désormais impossible de rétablir.

Le gouvernement de Yédo promettait, il est vrai, après l’évacuation de Yokohama, sécurité, bons rapports et commerce ; mais Hakodadé, situé au nord du Japon, se trouve trop éloigné des principaux centres de production. Quant à Nagasaki, la présence des étrangers dans cette ville y aurait les mêmes effets qu’à Yokohama, à moins qu’on ne les soumît au régime d’isolement et de vexations qui a rendu l’îlot de Décima[1] tristement célèbre. C’était assurément le but que le gouvernement du taïkoun se flattait d’atteindre, employant tour à tour avec une persévérance tout orientale la persuasion, les menaces et le secret concours des assassins. Osaka, Yédo, marquaient déjà quelques étapes de ses progrès dans cette voie ; Yokohama ne serait certes pas la dernière.

Les représentans des États-Unis et de la Hollande, quoique surpris par ces étranges communications, surent en comprendre immédiatement la portée et y répondirent avec dignité. « Il ne leur appartenait pas, dirent-ils, d’écouter de pareilles propositions, que leurs gouvernemens seuls étaient aptes à recevoir. Jusque-là il était de leur devoir de les considérer comme non avenues. Ils allaient en faire part à leurs collègues de Yokohama, mais ils pouvaient répondre dès ce moment qu’elles auraient auprès d’eux aussi peu de résultat. » Ils se refusèrent formellement à garder auprès des ministres de France et d’Angleterre le secret que réclamaient les membres du gorodjo. Faisant allusion aux troubles qui agitaient le pays, à la guerre civile imminente, le général Pruyn montra même en quelques vives paroles au taïkoun les dangers de sa politique, et comment, au lieu de servir les factieux, il devrait plutôt, par d’énergiques déclarations, les rappeler à l’ordre et au respect des traités. Evitant de répondre à ces insinuations embarrassantes, les ministres japonais insistèrent à maintes reprises sur la nécessité de l’abandon de Yokohama. Ils parlaient même déjà de débattre le chiffre des indemnités à allouer aux résidens étrangers. Leur dernier mot fut que le refus d’évacuer la ville amènerait une rupture complète.

Le lendemain même de l’entrevue, 27 octobre, MM. de Bellecourt et Neal reçurent à leur tour une lettre de convocation ; le gorodjo les priait de vouloir bien venir à Yédo prendre part à un débat auquel étaient conviés également leurs collègues des États-Unis et de la Hollande. Instruits par les incidens de la veille de ce qui les attendait

  1. Cet îlot, construit artificiellement en avant de Nagasaki, avait été, on le sait, assigné comme résidence aux Hollandais, seuls épargnés par le décret de proscription qui, vers le milieu du XVIIe siècle, chassa les étrangers du Japon.