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ils s’instruisent et se forment à cette rude école. L’approvisionnement du coton, tombé dans des mains inexpérimentées, laissait beaucoup à désirer ; l’industrie payait chèrement des matières très imparfaites. Si on leur laisse le temps de se reconnaître, les Indes apprendront à mieux produire, l’Égypte à produire à meilleur marché. Elles prendront pour modèle ce redoutable concurrent que les événemens auront ramené dans l’arène. Elles profiteront de la période de sa convalescence pour se préparer à la lutte, et il n’est pas interdit d’espérer que, quand il aura repris ses forces, elles seront en mesure de lui résister.

Voilà, en traits rapides, la perspective sous laquelle se présente l’acte décisif qui est en voie d’accomplissement, et dont la grandeur morale ne doit pas faire oublier les intérêts positifs qui en seront affectés. Il est dans la nature de cet acte de donner de vastes proportions à tout ce qu’il touchera dans l’ordre économique comme dans l’ordre social. Tout récemment un témoignage considérable est venu en fixer devant la conscience publique la véritable signification. La chambre des représentans, réunie à Washington, a voté à la majorité des deux tiers de ses voix l’abolition de l’esclavage. Elle a déclaré et inscrit dans une loi comme amendement à la constitution que la servitude volontaire ou involontaire cessera d’exister aux États-Unis et dans les lieux soumis au gouvernement fédéral. La mesure sera mise en vigueur dès que les trois quarts des législatures des états particuliers l’auront confirmée. À cette nouvelle, la ville s’est spontanément illuminée, et une sérénade a été donnée au président Lincoln, qui a paru sur son balcon pour répondre à l’appel de la foule. Son langage a été des plus simples, mais que de grandeur dans cette simplicité ! Après avoir invité les états particuliers à remplir leur devoir comme la chambre des représentans avait rempli le sien, il a ajouté que la patrie américaine venait de donner un beau spectacle au monde. Le président a raison : aucun spectacle en effet ne pourrait être plus beau ; il porte plus loin et vise plus haut que les bruyantes inutilités dont se repaissent nos sociétés maladives, et qui se succèdent sans cause comme sans effet. Le doigt de la Providence y est empreint ; les hommes n’y figurent que comme des instrumens. Aux yeux des générations à venir, ce sera le principal événement du siècle et un motif de rédemption pour les faiblesses multipliées qui en auront marqué le cours. On y verra ce qu’a pu faire sortir du sein de ses dissensions un peuple résolu et animé d’une pensée généreuse, malgré les pièges de ses amis et la résistance de ses adversaires, en dépit d’une malveillance de l’opinion savamment entretenue au dedans et au dehors.