doute l’accueil qu’il reçut de son vivant ; ses plaisanteries que l’on répétait, ses ouvrages que l’on savait par cœur avant qu’ils ne fussent imprimés, nés au milieu du monde, de l’occasion, du moment, avaient pris de l’animation d’où ils étaient sortis un feu qui n’est plus et qu’on ne saurait ranimer. Toute cette grâce première appartient au passé. Cette part de réputation, la plus aimable quelquefois et la plus séduisante, que l’écrivain tire de ses amis, des salons où il vit, ne soutient pas l’air du dehors, et la juste indifférence de la foule et du temps. Elle passe avec ces salons qui l’ont vu naître : c’est cette collaboration vivante qui faisait le charme des vers de Saint-Évremond. Ninon ou la duchesse Mazarin, plus que la muse elle-même, était la magicienne. Elles seules rendraient aux vers qui les nomment la grâce et l’éclat qu’elles leur prêtèrent un moment. C’est à Pétrarque, c’est à Dante que Laure et Béatrix doivent de vivre encore parmi nous ; mais c’est à Ninon et à Hortense que Saint-Évremond fut redevable un moment de sa réputation de poète. Bien des pages autrefois aimées, qu’ont recouvertes et comme glacées ces neiges d’antan dont parle Villon, sont pour toujours retombées dans l’oubli. Le poète est mort, mais le moraliste, mais le philosophe mérite encore d’être connu. Il peut, à une certaine distance des écrivains supérieurs, loin de la foule des écrivains médiocres, tenir un rang encore élevé. Cette place même aurait été meilleure et plus haute, s’il l’avait voulu, si la paresse, si le scepticisme, qui furent la règle de sa vie, ne l’avaient trop fortement attaché à l’heure présente, si lui-même n’avait point rétréci son horizon et retenu plutôt qu’excité de rares facultés.
On pourrait soutenir, en prenant Saint-Évremond pour exemple, que ce n’est point par le talent seulement, mais aussi par les qualités morales que l’on arrive à la gloire littéraire, qu’entre les écrivains distingués et les écrivains de génie il n’y a peut-être d’autres différences que celles qui tiennent à une sorte de moralité. Sans doute il ne faut plus donner à ce mot sa signification rigoureuse et précise, mais l’entendre dans un sens plus général et plus vague, comme indiquant surtout les mouvemens de l’âme, les dispositions de la sensibilité, une certaine vivacité de cœur, et cette ambition que l’on a quelquefois appelée le culte de la postérité. Si l’on cherchait, comme on l’a fait pour le temple du goût, quels sont les auteurs