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village le plus considérable, est de quatre cents fusils, et ce calcul comprend non-seulement les individus mâles, mais les femmes et les enfans, car les femmes se battent et possèdent leur carabine comme les hommes, et les enfans sont, dès l’âge de six à sept ans, armés de longs pistolets. Les Kakovouniotes ont cependant exercé de tout temps une industrie qui constitue encore aujourd’hui leur principale ressource : la préparation des cailles desséchées et marinées. L’extrémité du Magne est en effet un lieu de halte pour ce gibier, qui s’abat, vers la fin de l’automne, sur les rochers du Ténare, épuisé de fatigue et par volées innombrables. Le sol en est alors tellement couvert, disent les habitans, qu’on y distingue à peine la moindre pierre. Les chefs de famille ont soin de marquer d’avance, les armes à la main, les emplacemens qu’ils se réservent pour y ramasser les cailles dans d’immenses filets. Tandis que les hommes traitent de ces démarcations, grosse affaire qui se termine rarement sans entraîner quelque rixe sanglante, et qui est toujours le prétexte d’interminables guerres entre les tribus, les femmes emploient le mois d’août à puiser l’eau de mer, dont elles remplissent les moindres trous de la côte ; la chaleur extrême du soleil opère promptement l’évaporation, qui laisse après elle un dépôt de sel gris très amer et très parfumé. Les cailles une fois recueillies par les hommes dans les filets, les femmes leur coupent la tête et les pattes, les plument avec soin, et les saupoudrent abondamment de ce sel ; puis elles les aplatissent entre deux planches chargées de grosses pierres. Ainsi préparées, les cailles sont un mets fort goûté des Kakovouniotes, qui, après en avoir conservé la quantité nécessaire à leur consommation, peuvent encore en vendre dans tout le reste du Magne.

À Portoquaglio, je louai une barque pour remonter le golfe de Laconie jusqu’à Marathonisi, car les renseignemens que je reçus me démontrèrent l’impossibilité de pénétrer plus avant dans le Kakovouni, désolé alors par une sorte de guerre civile. Favorisé par un calme inaccoutumé dans ces parages, après une navigation de deux jours à travers un dédale de récifs terribles, de roches menaçantes, de petits ports cachés derrière de sombres écueils, je débarquai à Marathonisi, chef-lieu du Magne oriental et dernière étape de mon excursion dans cette partie de la Grèce. Marathonisi ou plutôt Gythium, que les Grecs appellent ainsi du nom de la ville antique dont les vestiges épars s’étalent à quelques centaines de mètres de la ville moderne, Gythium est construite au fond d’une baie sur un rocher imprenable. Comme dans toutes les villes du Magne, une forteresse domine et protège les habitations groupées autour d’elle ; de plus, l’entrée de la baie est défendue par un îlot