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rapidité. Ils étaient alors ce que sont aujourd’hui les clubs à Londres. Il y en avait pour toutes les classes et presque toutes les professions de la société. Dans les uns, on ne servait, outre le café, que des vins de France et d’Espagne, on n’y souffrait d’autre odeur que celle des tabatières remplies de tabac ambré ; dans les autres, la bière et le gin mêlaient leur forte saveur à la fumée et à l’odeur des pipes des artisans et des matelots. Le café Will, café aristocratique et littéraire, était présidé par le poète Dryden, alors dans toute sa gloire. Il n’échappait pas plus que ses contemporains à l’invasion du goût et de la littérature française. Nos tragédies y étaient jugées sous sa présidence et d’après les règles de la Poétique de l’abbé Lebossu. C’est là enfin que la querelle des anciens et des modernes, qui divisait alors tout Paris, fut traitée, commentée et continuée avec une ardeur qui ne le cédait en rien à celle de nos beaux esprits. On y lisait à haute voix les pamphlets de Perrault et les réponses de Boileau. Saint-Évremond était curieusement consulté, interrogé sur des matières qui lui étaient familières et des auteurs qu’il connaissait personnellement. On sait quelle sage mesure il garda dans le débat. Son ami Temple se montrait là plus résolu et plus décidé que dans sa conduite politique. Il soutenait avec chaleur et même un certain emportement la supériorité des anciens. Plus tard, dans sa délicieuse retraite de Sheen, il composa un essai sur la science des anciens et des modernes. Tous les argumens de ce livre un moment célèbre, oublié aujourd’hui, n’étaient que la reproduction de doctrines déjà exposées et de thèses déjà soutenues au café Will ; comme nos orateurs d’aujourd’hui, Temple faisait des livres avec ses discours.

Saint-Évremond trouvait dans cette vie l’excitation qu’il aimait, et son esprit y abordait des sujets divers qu’il traitait tour à tour avec animation et liberté. Il écrivit des comédies, les Réflexions sur le peuple romain, et des jugemens sur les écrivains de l’antiquité. La comédie du Faux politique, qu’il fît de concert avec d’Aubigny et le duc de Buckingham, composée, au dire des auteurs, dans le genre anglais, l’est plus sûrement encore dans le genre ennuyeux. Cette inhabileté à donner à des personnages la vie de la scène étonne chez Saint-Évremond. Il excellait à saisir le ridicule de ceux qui l’entouraient, à leur donner un langage plaisamment naturel. La fameuse conversation du père Canaye et du maréchal d’Hocquincourt vaut à elle seule toutes ses comédies, et n’a pas moins de grâce et de force que les meilleures pièces de Molière. Ce qui lui manque, ce n’est point la pénétration et la verve, mais le développement et le souffle. Ses plaisanteries ne peuvent s’étendre. Elles concentrent dans une phrase, dans un mot, un grand nombre d’observations et d’idées. Il a, si l’on peut le dire, le don des réticences, un silence