Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

louange la plus délicate qu’on nous donne, j’avais cru travailler ingénieusement à la gloire du génie, qui règne en établissant la honte de celui qui a gouverné auparavant… Ne m’alléguez point que c’est un crime d’attaquer la réputation d’un mort, autrement celui qui la ruine serait le premier et plus grand criminel lui-même… Les belles et admirables qualités de sa majesté m’ont donné les petites idées que j’ai de son éminence, et dans la condition où je suis, j’ai à demander pardon d’une chose dont il m’est impossible de me repentir. » On le voit, si Saint-Évremond persévère dans le jugement qui lui a valu sa longue disgrâce, il est impossible de le faire avec moins de hardiesse. Cette prière resta sans effet. Il retourna en Angleterre, où il reçut de Charles II, grâce à l’entremise de Temple, une pension de trois cents livres sterling qui lui fut continuée par le roi Guillaume après la révolution.

Bien des intrigues s’agitaient alors à la cour d’Angleterre. Le voluptueux Charles II, qui fut toute sa vie gouverné par les femmes, n’avait échappé à la duchesse de Cleveland que pour tomber sous l’empire de la duchesse de Portsmouth, qui, maîtresse absolue de son royal amant, enchaînait à la France les destinées du peuple anglais. Telles sont trop souvent les causes secrètes des grands événemens, de la paix, de la guerre, dans ces royautés absolues où le monarque tout puissant n’a d’autres maîtres que ses passions. C’est sa faiblesse qui gouverne et se joue selon ses caprices des forces d’une grande nation. La politique n’est plus alors la science des intérêts généraux ; elle n’exige plus de hautes et nobles études sur le génie des peuples, sur leurs mœurs, leurs richesses et leurs besoins. C’est la science des basses rivalités, des menées souterraines, où les intrigans triomphent obscurément. Ainsi, tandis que la politique de Louis XIV soutenait la duchesse de Portsmouth, le parti national lui cherchait une rivale, et de l’inconstance d’un homme on attendait le retour d’un peuple à sa politique séculaire.

De toutes les nièces du cardinal Mazarin, nulle n’eut une vie plus aventureuse qu’Hortense Mancini. La France, l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre la virent tour à tour promener son existence vagabonde, où les amours, les captivités, les fuites sous des habits d’homme se suivent sans relâche, supportées, appelées avec une mobilité fougueuse. Elle avait si pleinement le besoin des aventures qu’elle ne voulut jamais d’une fortune brillante, mais régulière, quand elle se présentait d’elle-même. C’est ainsi qu’après avoir refusé d’épouser le duc de Savoie, elle eut à Chambéry une position équivoque, s’en fit chasser par la veuve du prince, et partit pour l’Angleterre, déterminée à remplacer auprès de Charles II, qui avait autrefois demandé sa main, non pas la reine, mais la duchesse de Portsmouth. Héritière de Mazarin, qui la préférait à ses