Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortifié[1], où Leake et plus tard Bory de Saint-Vincent furent accueillis avec une hospitalité tout homérique par la noble et puissante famille Djanetakis[2]. Leake trouva le capitaine Antonio Djanetakis en guerre avec tous ses voisins et sur un bon pied de défense, entouré qu’il était de ses cinq neveux et lieutenans, Démétrius, Katzanos, Ghiorghio, Lampro et Tzingurio. Ce dernier surtout était célèbre par ses faits d’armes et réputé pour le plus redoutable guerrier du pays. D’une beauté farouche, que rehaussaient encore une longue cicatrice qui lui sillonnait le visage et une paire d’énormes moustaches qui tombaient jusque sur ses épaules, Tzingurio offrait l’image la plus terrible et la plus accomplie du héros maïnote.

La province de Gythium est celle de tout le Magne où l’on constate aujourd’hui le plus de progrès. C’est assurément par ce chemin que la civilisation s’introduira dans le pays, trop négligé jusqu’à ce jour par les divers gouvernemens qui se sont succédé en Grèce. Ce progrès, il est vrai, ne dépasse guère l’enceinte des villes ni la limite des campagnes les plus rapprochées. Dès que l’on pénètre dans l’intérieur du Maïna et que l’on séjourne dans les villages semés sur les flancs abrupts du rocher, on y retrouve les mœurs, les usages et les préjugés d’autrefois. En allant de Gythium à Sparte, je m’arrêtai un soir dans le village de Levitzova, au milieu de l’une des plus sauvages solitudes du Taygète. Vers le milieu de la nuit, je fus éveillé par une détonation, bientôt suivie d’une fusillade, qui partait à la fois de tous les côtés du hameau. Je me crus en pleine bataille : c’était une réjouissance publique. Un enfant mâle venait de naître au village. Or, lorsqu’un enfant vient au monde, si c’est un garçon, le père descend dans la rue et décharge sa carabine pour annoncer l’événement à ses proches et à ses amis ; ceux-ci répondent à ce signal de la même façon, et ce feu roulant dure quelquefois des journées entières, tant ces hommes aiment à s’enivrer de l’odeur de la poudre. Le nouveau-né est lavé avec une décoction de plantes aromatiques et saupoudré de la tête aux pieds de sel, de poivre et de myrte broyés ensemble. Au baptême, le prêtre détache un morceau de cire des cierges de l’autel, coupe quelques cheveux sur la tête de l’enfant, les fixe à cette cire et les jette dans l’eau baptismale ; il passe ensuite au cou de l’enfant cette amulette destinée à le protéger contre les maléfices, dont la crainte invincible hante à tout propos la superstitieuse imagination des Grecs. Le berceau où repose l’enfant maïnote est fait d’une peau de mouton ;

  1. L’île de Cranaé, où Pâris passa la première nuit de sa fuite avec celle qu’il venait de ravir au roi de Lacédémone.
  2. Le dernier représentant de cette ancienne famille est aujourd’hui général et aide de camp du roi.