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deux cordes fixées à ses deux extrémités servent à le pendre à la muraille, à côté des armes du chef de famille ; quand la mère sort, elle passe ce berceau sur son dos en bandoulière. J’ai vu plus d’une jeune femme du Magne revenir des champs portant tout ensemble sur ses épaules et ce précieux fardeau et un fagot de bois ou de bruyères, le tout si bien et si solidement arrangé qu’elle conserve les bras complètement libres pour filer en cheminant en temps de paix, pour faire le coup de feu en temps de guerre. Que de klephtes portés de la sorte d’étape, en étape à travers les montagnes ont été défendus et sauvés par le mousquet maternel ! Comme à Souli, comme à Sfakia, l’enfant est bercé par le récit des aventures et des exploits de ses aïeux. Plus tard, il aide à fabriquer la poudre grossière que chaque famille maïnote prépare pour son usage. À l’âge de douze ou quinze ans, il prenait autrefois la carabine et se mêlait aux défenseurs du pays. Tirer d’une main sûre en appuyant le canon de son fusil sur une pierre ou sur une branche d’arbre, ne jamais compter l’ennemi, se défendre jusqu’à la mort dans les pyrgos, derrière les retranchemens, au sein des excavations pratiquées dans le roc, telle était la tactique très simple que l’on apprenait au jeune guerrier. Un usage immémorial et conforme à certaines lois militaires des anciens Spartiates interdisait aux Maïnotes de poursuivre l’ennemi après l’avoir vaincu : sage prescription qui convenait à une peuplade trop peu nombreuse pour prendre jamais l’offensive, et qui a toujours préservé les défenseurs du Magne des embuscades où les Turcs cherchèrent maintes fois à les faire tomber en les provoquant à sortir de leurs impénétrables retraites. La morale du Maïnote se réduit à quelques formules toutes primitives. Un Grec, Stephanopoli, dont les pères ont joué un grand rôle dans l’histoire de ce pays, en a donné, sous forme de dialogue, un curieux échantillon. « Qu’es-tu ? demande-t-on au jeune Maïnote. — Un homme libre. — Sur quoi se fonde ta liberté ? — Sur le souvenir de mes ancêtres. — Quels étaient-ils ? — Les Spartiates. — Quels sont les devoirs d’un Maïnote ? — Respecter les vieillards et les femmes, secourir ses père et mère, être lent à promettre et fidèle à tenir, venger son injure, aimer jusqu’à la mort la liberté, le premier des biens. » Tels sont encore les seuls principes sur lesquels le Maïnote règle sa conduite. Tout acte de lâcheté est puni d’une réprobation universelle. L’héroïsme des mères Spartiates revit dans une des coutumes locales. En temps de guerre, après une bataille, les vêtemens de ceux qui sont morts dans le combat sont apportés sur la place publique et présentés à leurs mères ; si celles-ci reconnaissent qu’ils ont été blessés glorieusement à la poitrine, elles pleurent, prennent le deuil, recueillent les armes du défunt, et