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il va trouver le père, lui déclare qu’il s’expatrie pour faire fortune au loin, et indique en même temps l’époque précise de son retour. À partir de ce moment, la jeune fille n’entend plus un seul reproche sortir de la bouche des siens. Si son amant tient parole et revient à l’époque fixée par lui, il est reçu avec joie, et les noces ont lieu. S’il ne revient pas, les parens de la malheureuse s’assemblent pour prier et pleurer sur elle pendant trois jours ; à l’expiration de ce dernier délai, le père ou le frère aîné lui brûle la cervelle pour éteindre le déshonneur attiré sur la maison. L’infortunée laisse-t-elle un enfant, celui-ci est considéré comme non responsable du crime de sa mère et admis comme membre légitime de la famille. Ces lois draconiennes subsistent toujours ; il suffit d’avoir vu ces hommes de près pour ne point douter que, le cas échéant, elles ne soient encore inexorablement appliquées en dépit du code qui régit la Grèce civilisée, mais dont l’action se fait à peine sentir sur les mœurs à la fois austères et barbares de cette sauvage province. La femme maïnote, d’une beauté correcte et classique, mais trop mâle, sait d’ailleurs se faire respecter elle-même. Je me souviens que, bivouaquant un matin près d’un village où j’avais envoyé mon agoïate pour faire provision de vivres, je vis celui-ci revenir tout à coup éploré, essoufflé et se plaignant au guide de ce que, faute d’entente, une femme l’avait fortement battu. « Que ne le lui as-tu rendu ? lui dis-je en riant de sa piteuse mine. — Je m’en serais bien gardé ! s’écria-t-il ; c’est une Maïnote : elle m’aurait tué. » Tandis que la femme est, dans le reste de la Grèce, réduite à la condition la plus servile, parmi les Maïnotes elle tient le rang qui convient à la mère de famille. Condamnée, il est vrai, par de barbares préjugés aux plus pénibles corvées du ménage et aux rudes labeurs des champs, elle retrouve du moins à son foyer les égards qui lui sont dus, le respect du mari, des enfans et des hôtes. Les annales militaires du Magne ont, comme celles de Souli, leurs héroïnes, dont les exploits remplissent les récits populaires. L’une d’elles, Théocharis, dans un combat livré à Prastia, voit son fils tomber mortellement frappé ; elle saisit les armes du moribond, et se penchant à son oreille : « Dors, dit-elle, enfant, je suis à ton poste. » Elle se fit tuer sur le corps de son fils. — Irène, blessée par une balle turque, apostrophe l’ennemi en ces termes : « Ne te réjouis pas trop, car si je ne puis plus combattre ni travailler, je suis jeune et capable de faire des enfans qui me vengeront. »

C’est un vétéran des guerres de l’indépendance qui me racontait l’histoire de ces héroïnes populaires. Un hasard de voyage m’avait fait connaître pendant mon séjour à Gythium, ce vieux soldat, devenu