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rencontrèrent leurs plus redoutables adversaires, lorsqu’ils se répandirent en Grèce et qu’ils la partagèrent en deux grandes souverainetés, le duché d’Athènes et la principauté d’Achaïe. Guillaume de Villehardouin, la grande figure de cette époque, le héros de cette passagère conquête, construisit deux imposantes forteresses, l’une à Maïna, l’autre à Passava[1], afin de tenir en respect les Maïnotes indomptés. En outre diverses baronnies furent érigées dans l’intérieur du Magne, que les compagnons de Villehardouin couvrirent de châteaux fortifiés. De son côté, en face de chaque manoir, le Maïnote éleva son pyrgos lourd, massif, informe, mais capable de soutenir de longs sièges. Pyrgos et donjons se livrèrent ainsi d’incessans combats. Il est à remarquer que les efforts des croisés pour soumettre au joug les belliqueuses peuplades du Magne tournèrent au plus grand avantage de celles-ci. En effet, les capitaines maïnotes, après le départ des Francs, héritèrent des citadelles, donjons et forteresses, dont l’occupation étrangère avait hérissé leur pays, qui se trouva ainsi doté à peu de frais d’un formidable système de défense, et en état de se soustraire à toutes les conquêtes par lesquelles passa successivement la Morée. Un autre trait particulier au Magne, c’est que les institutions féodales importées par les croisés s’y implantèrent profondément, tandis qu’elles ne laissèrent de traces nulle part ailleurs sur le sol de la Grèce. Les seigneurs indigènes qui succédèrent aux barons francs dans les demeures élevées par ceux-ci s’assimilèrent leurs institutions et devinrent à leur tour de vrais barons levant la dîme, portant écussons et bannières, entourés de feudataires et de vassaux. Le régime féodal convenait tout à fait à la nature de leur génie. Ainsi dans la province la plus reculée de la Grèce, pays si éminemment démocratique, s’éleva, dès la fin du XIIIe siècle, une aristocratie barbare, mais fortement constituée, qui s’est maintenue jusqu’à nos jours dans toute sa sauvage vigueur.

Cette aristocratie farouche, turbulente, avide de rapines, mais douée d’une valeur et d’un patriotisme à toute épreuve, eut pour chefs, pendant deux siècles à peu près, de 1472 à 1675, les descendans de la famille impériale des Comnènes. Nicéphore Comnène, dernier fils de l’empereur David II, ayant, après la chute de Trébizonde (1443), erré longtemps en Perse, chercha un refuge dans le Magne, qui était réputé déjà comme un inviolable asile de la liberté, et où l’attirait en outre le souvenir des Cantacuzènes et des Paléologues, qui avaient été à plusieurs reprises despotes de Mistra. Nicéphore aborda au port de Vitulo, où le prestige de son nom

  1. Trois lieues sud-ouest de Gythium.