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le demandons, laisse-nous aussi ton chapeau, ta chemise, tes souliers ; à quoi tout cela peut-il te servir ? C’est bien ; maintenant tu peux être tranquille, tu n’as plus à craindre personne. » Tels sont les hommes qui ont fait au Magne un mauvais renom. Méprisez-les et fuyez-les comme des serpens. Quant aux Tzimovites[1], voilà de braves gens ! Leurs coutumes en font foi : marchands en apparence, au fond ce sont de vrais pirates. Que la faim et la soif, que le vent et la tempête les emportent tous ensemble ! »


Après cette malédiction lancée contre les Kakovouniotes, le poème finit par de légitimes louanges accordées aux efforts accomplis par le bey pour moraliser, instruire et discipliner le peuple[2].

Djanim (et ce fut l’honneur de son règne en même temps que la cause de sa chute) avait songé à l’émancipation générale de la Grèce. Le bruit des victoires de Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, retentit dans le Magne, jusqu’alors étranger aux événemens qui se passaient en Europe. Djanim envoya en 1796 son fils aîné auprès du général pour lui soumettre un plan d’insurrection et lui demander des secours. Le jeune Maïnote fut bien accueilli, mais congédié sans promesses positives. Un an plus tard, peu de temps avant l’expédition d’Égypte, Bonaparte se souvint de son entrevue avec le fils du bey du Magne. Il confia à deux Grecs de Cargèse, à deux Stephanopoli, la mission de se rendre auprès du bey, d’étudier la disposition des esprits, la topographie et les ressources militaires du pays, puis de parcourir la Grèce pour y faire revivre l’espoir de la délivrance. Sans entrer dans le détail des péripéties nombreuses de leur voyage, il suffira de dire qu’après avoir couru de graves dangers, ils sortirent de Zante cachés au fond d’une barque, afin d’échapper à la surveillance de l’escadre ottomane. Ils prirent terre aux environs de Marathonisi à la faveur d’une nuit obscure et d’une bourrasque terrible qui faillit les submerger. Le fils du bey, averti de leur prochaine arrivée, les attendait nuit et jour, depuis une semaine, avec des troupes échelonnées sur divers points de la côte. Djanim les reçut à Gythium, et ouvrit avec un légitime orgueil la lettre que Bonaparte lui adressait, et qui portait cette suscription : le général en chef de l’armée d’Italie

  1. Habitans de Tzimovo.
  2. C’est le seul monument littéraire qui reste de ce pays et de cette époque. Il n’a pas été publié ; mais il en existe plusieurs exemplaires manuscrits en divers lieux de la Grèce. Il fut communiqué par l’évêque de Mistra à Leake, qui en cite quelques fragmens (Travels in thé Morea, t. Ier, p. 333). Quant à nous, nous l’avons trouvé bien loin de là, dans la cellule d’un moine de Mégaspileon, grand monastère situé près du golfe de Lépante, à une journée de Vostitza (ancienne Ægium). Ce moine, originaire du Magne, avait combattu pour l’indépendance, et portait au front une large cicatrice. Il était venu se reposer des agitations de sa carrière dans la nonchalante et paisible existence des religieux de l’ordre de Saint-Basile.