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cordes de violon, la traverse horizontale se courbait. Instinctivement nous soutenions la toile avec le dos pendant, tout le temps que durait la rafale, car notre salut dépendait de la solidité de cet abri protecteur ; en faisant quelques pas au dehors, nous pouvions nous former une idée de ce que nous deviendrions, s’il nous était enlevé. Jamais auparavant je n’avais compris comment des voyageurs pleins de vigueur et de santé avaient péri à quelques pas de l’endroit où la tourmente était venue les surprendre ; je le compris ce jour-là.

Sous la tente, le froid était supportable. Le thermomètre oscillait entre 2° et 3° au-dessus de zéro. Nos vêtemens en peau de chèvre et nos sacs en peau de mouton nous protégeaient suffisamment, quoique le poil de la pelisse restât attaché par la glace à la toile de la tente. Pendant la huit, le vent diminua de violence ; malheureusement la neige continuait à tomber, la température baissait toujours, et à cinq heures et demie du matin le thermomètre marquait — 12°,1. Il était tombé cinquante centimètres de neige, mais la toile de la tente n’en était pas couverte, le vent l’avait balayée ; il continuait à chasser horizontalement le grésil et la neige, du Grand-Plateau. Le baromètre se tenait aussi bas que la veille. Dans une éclaircie, nous vîmes les sommets du Mont-Blanc, des Monts-Maudits et du Dromadaire, tous terminés par une aigrette blanche dirigée vers le nord-est ; c’était la neige que le vent du sud-ouest chassait à travers les airs.

Monter à la cime eût été impossible : sur le Grand-Plateau même, nous étions condamnés à l’immobilité. Nous prîmes donc notre parti, et après avoir rangé nos instrumens dans la tente, nous en bouchâmes l’entrée avec de la neige : il était sept heures du matin, et le thermomètre marquait encore 7 degrés au-dessous de zéro. La neige récemment tombée ayant caché toutes les fentes et toutes les crevasses, nous nous attachâmes à la même corde et redescendîmes rapidement aux Grands-Mulets. Après quelques instans de repos, nous traversâmes le glacier des Bossons. L’étroit sentier qui conduit aux Pierres-Pointues, couvert par la neige fraîche, était devenu glissant et difficile. La neige était tombée plus bas encore, jusqu’à l’endroit appelé les Barmes-dessous, à 780 mètres seulement au-dessus de Chamounix. Notre retour rassura tout le monde ; le mauvais temps savait régné dans la vallée comme sur les sommets, et le bruit s’était répandu que nous avions tous péri. Ces alarmistes ignoraient que nous avions emporté la tente de campement, qui nous avait garantis de la neige, du vent et du froid pendant la terrible nuit du 1er au 2 août.

Revenus à Chamounix, nous fîmes des courses dans la vallée pour étudier les anciennes moraines dont elle est encombrée ; chaque