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de trouver son chemin dans ce brouillard, mais Mugnier n’hésitait pas. Nous descendions toujours, lorsque tout à coup nous vîmes se dresser devant nous des rochers que nous ne connaissions pas ; vus à travers le brouillard, ils paraissaient d’une hauteur prodigieuse. Nous nous arrêtâmes, croyant être égarés ; presque aussitôt la brume se dissipe, et les rochers reviennent à leurs dimensions naturelles. C’étaient les Grands-Mulets ; le mur en pierres sèches était devant nous : nous y prîmes quelques instans de repos, et à neuf heures du soir nous étions de retour à Chamounix.

Ce second échec ne nous découragea point ; il fallait opposer la constance dans la résolution à l’inconstance du temps. Nous nous considérions comme engagés envers le public, que des indiscrétions avaient informé de nos projets, et envers le ministre qui les avait favorisés. Hasarder l’ascension du Mont-Blanc par des temps équivoques dans l’espoir de quelques belles journées est une illusion qui a déjà trompé bien des voyageurs. Ces temps permettent des excursions dans la vallée ; mais, pour s’élever à de grandes hauteurs, il faut un beau temps fixe, assuré, un air calme et frais, un ciel bleu sans nuages, des vents de nord-est ou de nord-ouest. Le baromètre ne doit point être au-dessous de 675 millimètres à Chamoumx, et l’hygromètre doit indiquer que l’air est sec. Alors on peut tenter l’ascension ; sinon, on s’expose à des déceptions comme celles que nous avons éprouvées. Nous résolûmes d’attendre que toutes ces conditions fussent réalisées, et nous nous décidâmes à faire le tour du Mont-Blanc. Je désirais comparer directement mon baromètre avec celui de l’hospice du Saint-Bernard et avec celui de M. le chanoine Carrel à Aoste. Auguste Bravais voulait observer l’intensité horizontale des forces du magnétisme terrestre et constater les anomalies que de Saussure a cru observer autour de la masse du Mont-Blanc. Notre mauvaise chance ne nous quitta pas, et pendant que nous étions à Aoste, d’abondantes chutes de neige eurent lieu sur les montagnes dans les nuits du 15 au 17 août. Le 19, nous étions de retour à Chamounix ; le temps s’améliorait, et enfin le 25 il se mit tout à fait au beau ; le baromètre montait d’une manière continue, le nord-ouest soufflait dans les régions supérieures de l’atmosphère. Nous savions que notre tente était encore debout sur le Grand-Plateau ; nous l’avions aperçue du haut du Breven, mais elle paraissait ensevelie dans la neige du côté du sud-ouest, tandis que la face opposée semblait complètement dégarnie. Certains de retrouver nos instrument en bon état, nous partîmes pour la troisième fois le 27 août, à minuit et demi. La lune éclairait notre marche ; à trois heures et demie, nous étions aux Pierres-Pointues. Le ciel était d’une pureté admirable, quelques brumes isolées reposaient sur le col de Balme et sur les monts Vergi. Une fraîche brise descendante,