Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute occasion la noblesse antique de sa famille. On nous a cité de lui cette hautaine réponse, faite à un capitaine qui, dans un conseil de guerre, se permettait d’émettre un avis contraire au sien : « Oses-tu bien, lui dit-il, homme né d’hier, te mesurer avec moi, dont le nom est aussi vieux que les cinq sommets du Taygète ! » L’influence de Pierre Mavromichalis, soutenue par une famille aussi nombreuse qu’intrépide, était telle dans tout le Péloponèse que son avènement fut regardé par les Turcs comme un défi, par les Grecs comme un présage d’indépendance. Aussi le capitan-pacha, étant venu à Vitulo sous prétexte de complimenter le nouveau bey, l’exhorta à livrer un de ses fils au sultan pour gage de sa fidélité. On nous a raconté qu’à ce moment Pétro-Bey fit venir ses six fils et leur dit : « Je dois obéir, car il faut pendant quelque temps encore endormir les craintes et la malveillance de l’ennemi. L’un de vous doit se sacrifier. » Tous s’offrirent en otages. Il y avait dans la maison de Mavromichalis un vieux prêtre aveugle. « Qu’on fasse venir le vieillard, » dit Pétro-Bey, et il donna l’ordre à ses enfans de faire silence, afin qu’aucun d’eux ne pût être reconnu au son de sa voix. « Je laisserai partir, ajouta-t-il, celui d’entre vous que sa main désignera. » La main de l’aveugle se porta sur Constantin. « Va sans crainte, mon enfant, lui dit Pétro-Bey ; Dieu me prive aujourd’hui de toi, mais il te rendra demain à la patrie. » En effet Constantin, après quelques années de captivité, réussit à s’échapper de Constantinople, et reparut dans le Magne au moment même où éclatait la guerre de l’indépendance.

La main de fer que Pétro-Bey appesantit sur le Magne et les actes de sévérité par lesquels il voulut dès le début consolider son autorité démentent le caractère de douceur que quelques philihellènes[1] lui ont attribué. En sortant de Portoquaglio, nous avons rencontré un haut récif témoin d’une de ses exécutions. Ayant appris qu’un prêtre de cette ville avait séduit une jeune fille, Pétro-Bey prétendit que l’antique austérité des mœurs se relâchait et résolut de faire un exemple. Il arrive, saisit le coupable, le livre aux deux frères de sa complice, et leur ordonne de le jeter pieds et poings liés sur ce rocher, qu’on appelle Karavopétra. Le malheureux y mourut de faim. Aussi les matelots n’aiment pas à doubler cet écueil, qu’ils croient hanté par de sinistres apparitions. En sa qualité de bey, Pierre Mavromichalis prélevait certains droits sur les navires et les marchandises qui entraient dans les ports du Magne, ou qui en sortaient, ainsi que sur les transactions commerciales

  1. Gordon’s History of the greek révolution, 3 vol. ; Mémoires sur la Grèce en 1825, par le colonel Raybaud.