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le conjure. Critiquer le voyage en Italie, appuyer sur l’objection d’un ton doux et ferme, mais qui n’admet pas de réplique, fut l’habile manœuvre du moment. Le fils voulut répondre : on resta sourd. Il fallut comprendre à demi-mot, obéir. Les amoureux se séparèrent après mille sermens échangés. Mozart aimait. L’imagination, les sens, n’étaient point seuls en jeu chez le jeune artiste ; son cœur, plein de tendresse, de foi profonde, avait tressailli. Aloysia, de son côté, versa bien des larmes ; mais sa peine, quoique sincère, dura moins. L’année ne s’était pas écoulée, que Mozart, la retrouvant à Munich, s’apercevait d’une complète évolution. « Fragilité, ton nom est femme ! » a dit le poète. La fragilité, ce jour-là, s’appelait Aloysia. Ils se revirent à Vienne ; la jeune fille, dans l’intervalle, s’était mariée avec un comédien nommé Lange, et déjà perçait son talent avec sa réputation de cantatrice. Mozart, attiré par les souvenirs de Manheim, hantait la maison. Qu’y cherchait-il ? Son pauvre cœur, dont l’aînée des deux filles n’avait point voulu, et que l’autre, la cadette, guettait pour le saisir au passage. Cette sœur cadette, bonne, fidèle, dévouée, fut sa Constance, celle pour laquelle il écrivit, dans l’Enlèvement, le fameux air de Belmonte, tout palpitant de ses ardeurs récentes. « C’est l’air favori de tous ceux qui l’entendent, » mande-t-il à son père en oubliant avec l’adorable candeur du jeune âge qu’il reprend au sujet de sa nouvelle maîtresse la litanie chantée jadis à propos d’Aloysia. « On y saisit le tendre émoi, les irrésolutions, et jusqu’aux moindres battemens d’un cœur sensible, jusqu’à la plénitude du bonheur, exprimée par un crescendo, jusqu’aux soupirs, aux doux aveux, dont les violons en sourdine et la flûte rendent le bruit et le mystère. » Le père, à son tour, reprit le vieux thème d’opposition : épouser la fille d’un copiste, c’était déchoir. Et puis quel avenir ! point d’argent, nulle chance d’en gagner ! La perspective en effet n’était pas brillante. Ils se marièrent nonobstant, et se mirent en ménage avec 50 florins… de dettes. Pauvre Constance ! c’est elle qu’il faut plaindre, admirer, elle la compagne des mauvais jours, la confidente de tant de défaillances, de misères, l’honnête, simple, courageuse gardienne de ce foyer domestique tracassé, bouleversé. Ce que c’était que la modération, Mozart ne le sut jamais. Apre au plaisir comme au travail, il passait sa vie hors de chez lui, hantant les tripots et les salles de billard, courant les tavernes, les bals publics, déguisé en pierrot, et donnant à la composition les restes d’une nuit de fredaines. Entre les dépenses qui devaient résulter d’une pareille conduite et les revenus de la maison il n’y avait aucune espèce de balance. L’argent qu’il retirait du théâtre, des concerts, les sommes que ses éditeurs lui fournissaient, et jusqu’à sa