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douée, la fleur des Alpes et des Karpathes, des lieder ramassés à poignées dans le champ national par des hommes ayant, comme Dittersdorf, Wenzel Müller, un tel art d’appropriation qu’on se demande aujourd’hui si ce sont eux qui ont emprunté cette musique à la tradition populaire, ou si ce n’est point plutôt, la tradition qui la leur a prise ; un véritable orchestre de kermesse, des chansons qui jaillissent du cœur, des valses à tout entraîner, des ballades tantôt d’un comique ébouriffant, à la Falstaff, tantôt naïvement rêveuses, tantôt empreintes des terreurs du surnaturel. On pressent à la fois Schubert et Weber : le premier un peu prosaïque, un peu bourgeois, comprenant davantage l’eau qui fait aller le moulin, le courant leste et clair où voyage la truite entre deux rives de gazon émaillé ; l’autre, plus entraîné vers le merveilleux, plus romantique, et préférant au ruisseau de la belle meunière la grotte de cristal des ondines et des nixes.

Si jamais vous visitez Vienne, ne manquez pas d’aller voir à Leopoldstadt le Moulin du diable. L’ouvrage ne se joue plus guère que de loin en loin, et pour l’ébattement du populaire et des enfans, ce qui n’empêche pas les gens distingués et raisonnables d’y trouver leur plaisir par occasion. Ce Moulin du diable, avec ses chevaliers bardés d’armures retentissantes, ses troubadours élégiaques, son coquin de meunier, qui par manière de passe-temps a tué sa femme, — avec ses sacs de blé qui se trémoussent, son Kasperl pantagruélique, qui au dénoûment s’envole en l’air à cheval sur son baudet, — ce Moulin du diable fait un spectacle des plus divertissans. Musicien ambulant, violoneux de tréteaux, moins artiste que rapsode, mais dans sa trivialité d’une veine intarissable, car elle se renouvelle aux sources vives, Wenzel Müller a composé de la sorte plus de cent féeries où passe par momens je ne sais quel souffle romantique. Vous diriez alors du Shakspeare traduit en allemand des faubourgs de Vienne. Le bonhomme composait du reste dans toute la simplicité de son âme ; il écoutait, se souvenait, content de transcrire et d’arranger pour le plaisir des autres ces trouvailles qui lui plaisaient. Il secouait sa large manche, et les notes par milliers en tombaient : féeries, impromptus, Wienerpossen. Sur le tard, la renommée de Mozart l’importuna ; toujours simple et naïf, il ne se l’expliquait pas. « Comment se peut-il faire, disait-il, que le monde tienne en pareille estime un homme qui, après tout, n’a jamais composé que sept ouvrages, tandis que moi j’ai écrit plus de deux cents opéras, sans compter des monceaux de musique religieuse ? »

En attendant, cette productivité, dont l’avenir devait si médiocrement savoir gré à Wenzel Müller, ne laissait pas que d’être pour Mozart une cause grave de découragement. Le Cistre enchanté fut