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apprécier la valeur de tels ouvrages, plus d’intelligence et de talent que pour s’en égayer[1]. »

Comme l’auteur de Werther et de Faust, comme Lessing, Herder, Wieland, comme cette multitude d’esprits auxquels les institutions du passé ne suffisaient plus, et qui, dans l’honnêteté de leurs consciences, auraient voulu voir les circonstances répondre à l’idéal qu’ils avaient en eux, Mozart était franc-maçon. Ces rêves de fraternité, de bonheur universel, parlaient à sa belle âme, à sa nature métaphysique moins raisonnante que sensitive, et qui, toute remplie d’aspirations inassouvies, trouvait son bonheur à vivre en communauté de desseins, de tendances, avec un cercle d’esprits cultivés,

  1. Le poème de la Flûte enchantée préoccupa Goethe assez longtemps. Il découvrit là du premier coup d’œil tout ce que Mozart y avait mis, et voulut à son tour interpréter le sens de la musique, comme la musique avait interprété l’idée du poème. Ce fut assez pour lui faire écrire, à lui, le futur auteur de la seconde partie de Faust, une seconde partie de la Flûte enchantée. Quand on trouve ce fragment singulier dans les œuvres complètes, on commence par ne pas comprendre. Est-ce une moquerie à l’adresse du public et du compositeur ? Non, mais tout simplement une faiblesse. Goethe prend très au sérieux sa besogne. J’ai dans les mains la copie d’une lettre inédite, Je crois, en tout cas très peu connue, dans laquelle, en librettiste bénévole cette fois, et non point contraint et forcé, comme cela ne devait que trop se voir plus tard, il offre imperturbablement sa bagatelle à l’auteur d’un opéra d’Oberon, ce Paul Wranitzki dont j’ai parlé plus haut. « Vous verrez, en prenant connaissance du texte que je vous envoie, quel parti on en peut tirer pour un opéra. Veuillez bientôt me faire savoir si la direction agrée mon programme, afin que je me remette à l’œuvre et le termine. Je serais, quant à moi, charmé d’entrer en relations avec un homme de votre talent. J’ai tâché, comme vous le verrez, d’ouvrir au génie du compositeur le plus vaste champ, parcourant tous les genres et passant du pathétique le plus élevé au style léger, au comique.
    « Recevez, etc.
    J.-W.-V. GOETHE.
    « Weimar, le 24 janvier 1796. »
    Suit un post-scriptum qui n’est pas la partie la moins curieuse de la pièce. « L’immense succès de la Flûte enchantée m’a donné l’idée d’emprunter à cet ouvrage divers motifs pour les travailler à nouveau et de manière à me rencontrer avec le goût du public. C’est donc une seconde partie de la Flûte enchantée que j’entends faire. Les personnages, restant les mêmes et connus qu’ils sont déjà des acteurs et du public, n’en auront que plus de vie et d’intérêt. Rien de changé non plus dans les décors, dans les costumes, ce qui ne saurait manquer de faciliter beaucoup par toute l’Allemagne l’exécution de l’ouvrage. Il va sans dire que, dans le cas où votre directeur voudrait se mettre en nouveaux frais, on ne s’y opposerait pas, bien que mon intention formelle soit de rattacher par tous les souvenirs de mise en scène cette seconde Flûte enchantée à la première. » On sourit à voir un archi-maître de la pensée humaine agiter de pareils détails ; mais Goethe fut aussi directeur de théâtre : il savait ce qu’une pièce coûte à monter, connaissait les ressources du monde auquel il avait affaire. D’ailleurs qui n’était plus ou moins régisseur dramatique à cette époque ? Empereurs et rois, tous s’en mêlaient. Voyez Frédéric, le grand Frédéric ! « Je ne saurais plus ordonner de nouveaux habits, il faut y suppléer par ceux qui se trouvent dans la garde-robe de l’opéra, où il y en aura bien encore qu’on pourra faire ajuster. Faites des amours à bon marché, car à mon âge on ne les paie plus cher ! » (Lettres à Pöllnitz).