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prêtres, le second finale, l’ouverture, autant de merveilles ! En ce temps-là, les théâtres allaient vite en besogne, les opéras de Mozart n’étaient pas d’aussi grands seigneurs que les nôtres ; ils ne se faisaient pas attendre. Le 30 septembre 1791, aptes deux semaines de répétitions, l’ouvrage fut représenté sous la direction du maître assis à son clavier. La première impression ne répondit point à ce qu’on espérait ; devant ce magnifique imprévu, le public un moment resta décontenancé. Ce style imposant, solennel, tout ce grandiose en un pareil local, c’était en effet de quoi surprendre. Depuis les drames de Shakspeare, joués sur des tréteaux forains, on n’avait jamais vu telle disproportion entre la majesté du dieu et l’étroitesse du sanctuaire. Isis et Osiris, dans quelle infime cabane furent cette fois célébrés vos mystères ! Hoffmann n’eût pas rêvé mieux, lui dont l’imagination, en fait de mise en scène, aimait à suppléer à tout. C’est pour le coup que, dans cette partition semblable au lotus mystique d’où le Brahma indien s’élança sur le monde, le nocturne conteur eût vu revivre l’antique Égypte funèbre et souterraine avec ses palais silencieux, ses temples profonds et déserts, ses obélisques, ses nécropoles, partout peinturlurées des images de la vie.

Le pauvre petit théâtre de Schikaneder avait eu beau se mettre en frais de costumes et de décors ; il restait beaucoup à faire au spectateur intelligent pour se rendre compte, en un tel milieu, de la pensée de Mozart. De là les vicissitudes d’une soirée qui devait d’ailleurs se terminer en triomphe, car les applaudissemens, qui d’abord avaient semblé ne vouloir se prendre qu’aux passages faciles, finirent, vers la seconde moitié de la partition, par s’échauffer pour les beautés d’un ordre supérieur, et lorsque tomba le rideau, l’enthousiasme était partout. On rappela Mozart, qui à son tour fit le dédaigneux, refusa longtemps de paraître, trouvant l’ovation un peu bien tardive, et ne se rendit qu’en se défendant. Plus d’un, à la vérité, n’avait pas attendu l’heure de la victoire pour se prononcer. Un brave et digne compositeur très en vogue à ce moment dans Vienne, Schenk, l’auteur du Barbier de village, fut saisi dès le début d’admiration irrésistible. Cet honnête homme, qui, plus que bien d’autres, aurait pu se croire le droit d’être envieux, se déclara tout aussitôt d’une façon touchante. Enthousiasmé par l’ouverture, il se glissa en rampant à travers l’orchestre jusqu’à Mozart, et, s’emparant de sa main gauche, la baisa, tandis que le maître, continuant de la droite à battre la mesure, le regardait avec attendrissement et gratitude.

L’impulsion était donnée ; le succès ne s’arrêta plus, et quel succès ! 8,443 florins de recettes en vingt-quatre représentations ! Ne