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est un prince, l’idéal et la perfection des princes philosophes ?

Quand les traducteurs cessent d’être en cause, c’est le tour des décorateurs, des costumiers. Je crains qu’on n’ait voulu trop bien faire les choses. C’est un tort. Ces chefs-d’œuvre conçus dans l’idéal, l’abstrait, ne se montent pas comme un opéra de Meyerbeer. Trop de couleur locale, de fatras égyptien, de pompe hiératique ; il faut détendre, mettre surtout de la bonhomie, du naturel. Cette musique vit dans le cœur et se joue dans le bleu : beaucoup moins romantique que votre mise en scène n’a l’air de croire, elle est par contre beaucoup plus romanesque. Un oiseleur rencontre une princesse, et, seuls, les voilà chantant au milieu des forêts un hymne à l’amour, trésor d’innocence, d’ingénuité, d’émotion vague et tendre. Le cloître de Robert le Diable, la Gorge-au-Loup du Freyschütz, jouent un rôle dans la musique de Meyerbeer et de Weber. Il convient donc qu’on nous les représente avec le plus de vérité possible, car de l’impression de terreur que cet appareil théâtral va produire dépendra en grande partie l’effet de la musique, du mélodrame, mais ici la musique n’est pas mêlée au drame, étant le drame même. Qu’ai-je besoin qu’on me peigne cette forêt ? J’écoute et je suis ravi, et bien loin de penser au décor, de me laisser distraire à l’accessoire, je ferme les yeux pour mieux entendre. Cette circonstance de deux amans supportant de compagnie les périls de l’initiation, au lieu de servir de motif au machiniste, n’a pour Mozart que le simple attrait d’une étude psychologique. C’est dans l’amour de Tamino, dans son héroïsme et sa vertu, comme aussi dans les infortunes de la jeune princesse, dans ses plaintes et son absolue soumission, qu’il a placé cet intérêt que tant d’autres demanderaient aujourd’hui à la fantasmagorie.

C’est pourquoi gardons-nous d’en trop mettre ; on ne saurait croire combien toutes ces surcharges, toutes ces interprétations décoratives nuisent à l’effet musical. Le caractère de Sarastro s’y transforme complètement. Dans ce lourd pontife, emmaillotté, crosse, mitre, empêtré de caparaçons hiératiques, vous avez peine à reconnaître le personnage de Mozart, si doux, si humain, si dégagé du fardeau de l’erreur, ne vivant que pour le bien de ses semblables. Sous cet écrasant appareil de voiles, de bandelettes et d’écharpes, l’acteur momifié ne songe qu’à sa propre contenance, et le trouble qu’il trahit en abordant ses airs serait à coup sûr moindre sans cet excédant de bagage sacerdotal : trouble d’ailleurs bien naturel, et qu’on s’explique par les gigantesques proportions de cette architecture musicale. Ce n’est pas un air cela, mais un monument, mais un temple ! L’abbé Arnault disait, à propos de l’Alceste de Gluck, qu’avec de pareille musique on fonderait une religion. Que penserait