Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un prix également arbitraire et souvent à perte. On avait construit d’immenses greniers où s’entassaient les grains, de vastes caves pour les huiles. Il était défendu d’abattre les agneaux blancs, des noirs seuls étaient livrés à la consommation. D’autres produits étaient taxés selon les circonstances et le bon plaisir des magistrats de l’annone. Pour couvrir les pertes de la vente, on émettait des billets à rembourser plus tard. « A l’aide de quelques lignes, dit Consalvi, les papes faisaient en un jour ou deux fabriquer par le mont-de-piété ou par la banque du Saint-Esprit deux ou trois cents mille écus en papier, ce qui devait à la longue entraîner et entraîna en effet la ruine de l’état. » Ainsi la propriété agricole, pressurée d’abord par le monopole, l’était ensuite par l’impôt pour combler le déficit que le monopole avait causé, et ce beau système, inventé pour prévenir les disettes, les multipliait en décourageant la culture. Consalvi donc y porta la hache à l’aide d’une congrégation qui cette fois, mieux choisie et bien soutenue par le pape, de seconda loyalement ; mais il lui en coûta de cruels déboires, et il s’éleva comme la première fois des résistances acharnées et redoublées, auxquelles tout autre aurait succombé. Le camerlingue de l’annone était le cardinal Braschi, neveu du précédent pape. Irrité de la diminution considérable dont cette réforme frappait ses revenus, il remua ciel et terre contre le ministre, souleva les nombreux agens de son administration, répandit des inquiétudes dans le peuple sur sa subsistance. « Il tourna contre moi toute sa fureur, dit Consalvi ; chef des créatures de son oncle, il entraîna à sa suite une multitude de partisans… il resta mon plus redoutable ennemi, et ce fut seulement après mon ministère qu’il se montra juste. Pendant la longue et terrible guerre qu’il me suscita, je n’opposai à ses actes que les marques les plus positives d’égards, d’estime et d’intérêt pour sa personne. »

De tels faits, dénoncés par un tel homme, sont précieux pour l’histoire. Les paroles de Consalvi couvrent de leur authenticité et de leur impartialité tout ce qu’ont pu postérieurement écrire de plus agressif les Farini et les d’Azeglio. Et ne croyez pas qu’il donne cela pour des faits accidentels et sains conséquence, il a soin au contraire de les montrer comme inhérens au gouvernement ecclésiastique à cause de son principe d’immobilité trop bien défendu par l’âpre égoïsme des privilèges. S’il est, dit-il, partout difficile de déformer et d’innover, cela devient partout malaisé dans le régime pontifical. Là tout ce qui est vieux est comme consacré par son antiquité même, personne ne remarque que tout change dans ce monde ; mais ce qui, à Rome plus que partout ailleurs, s’oppose aux réformes, « c’est la qualité de ceux qui y perdraient quelques