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On pourrait croire en effet à première vue que, dans les sciences de la nature, ce sont les choses sensibles qui sont l’objet de la science, et que les sens en sont l’instrument ; mais un peu de réflexion nous fait voir qu’il n’en est rien. Les sens ne sont que des agens secondaires obéissant à un maître supérieur qui est l’entendement. le sensible n’est que l’occasion de la pensée et le signe de l’intelligible. Par exemple, lorsque le physicien traite de la chaleur, croit-on qu’il entende parler de la sensation de chaud ou de froid qu’il peut personnellement éprouver ? Cette sensation est-elle autre chose pour lui qu’un avertissement de la présence d’un certain agent, dont il étudie les lois sans se préoccuper de ses propres impressions ? De même l’électricité se confond-elle avec la sensation de commotion douloureuse qu’elle provoque, les propriétés chimiques des corps avec les sensations de salé, d’acide ou d’amer qui les accompagnent ? Ces sensations sont des signes que le savant ne fait que traverser pour atteindre ce que les sens ne peuvent connaître, ce qui ne se découvre qu’à l’esprit, à savoir les rapports généraux des phénomènes, les lois, les genres, les types, en un mot le pur intelligible. Plus la science s’élève dans ses généralisations, plus elle élimine le sensible et s’en dégage. Ainsi dire avec les physiciens d’aujourd’hui que la chaleur est, selon toute apparence, identique à la lumière, et que l’une et l’autre ne sont que des mouvemens, n’est-ce pas écarter, je dirai même fouler aux pieds toute représentation sensible ? Car, pour les sens, quoi de moins semblable que la chaleur et la lumière, la lumière et le mouvement ? On peut conclure de ces faits que, si la métaphysique prétend s’élever au-dessus des choses sensibles pour atteindre jusqu’aux derniers intelligibles, elle ne fait en cela que continuer, en traversant peut-être un peu trop vite beaucoup d’intermédiaires, elle ne fait, dis-je, que continuer et imiter la méthode des savans.

De ce qui vient d’être exposé, on peut conclure aisément que les sciences passent sans cesse du subjectif à l’objectif, de ce qui paraît aux sens à ce qui est en réalité, car elles passent de ce qui n’est vrai que pour celui qui l’éprouve à ce qui est vrai pour tous les observateurs en général, et par conséquent indépendamment de chacun d’eux en particulier. On connaît cette pensée de Pascal : « L’un dit : Il y a deux heures ; l’autre dit : Il n’y a que trois quarts d’heure. Je regarde à ma montre, et je dis à l’un : Vous vous ennuyez, et à l’autre : Le temps ne vous dure guère, car il y a une heure et demie. » C’est l’image du vulgaire et de la science. Trois personnes sont réunies dans une chambre. L’une dit : Il fait chaud ici ; la seconde : Il fait froid. Le savant consulte le thermomètre, et fixe le degré de température indépendamment des impressions de chacun. Voilà la température objective de la chambre. En généralisant