Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plissait M. de Morny et du grand vide que laissa l’évanouissement subit d’une situation semblable. Il est aisé de remplacer le président d’une chambre ; mais on n’improvise point l’équivalent d’une situation telle que celle de M. de Morny. Voilà ce qui devrait être l’objet de pensées graves. Il est des régimes politiques où l’on s’inquiète peu de la valeur propre des hommes sous le prétexte que les institutions y suppléent à l’insuffisance des personnes. Le régime actuel de la France n’est point de ceux-là ; il est de ceux au contraire qui empruntent au mérite des hommes leur éclat et leur solidité. La perte d’un homme qui ne se peut remplacer est plus sensible à ces régimes qu’à d’autres. La France a besoin que l’éducation politique se régénère dans son sein, sous l’influence fécondante d’institutions plus libérales ; c’est le conseil que la mort semble venir nous rappeler chaque fois qu’elle éteint au milieu de nous une existence importante : elle n’a jamais donné cet avertissement avec une autorité plus pressante et plus sévère que le jour où elle a enlevé M. de Morny.

Les deuils les plus douloureux n’interrompent point le cours des affaires publiques ; tandis que commençait l’agonie du président du corps législatif, le débat de l’adresse s’ouvrait au sénat. La première séance de cette discussion n’a point été heureuse. Il est bizarre que l’ouverture de ce grand opéra politique soit habituellement composée et exécutée par M. de Boissy. Si la délibération des grandes affaires du pays ne devait être qu’un amusement, on pourrait souhaiter un amusement plus délicat ; mais on prendrait son parti de rire des propos comiques de M. de Boissy. Les discours de ce représentant singulier des illustrations de la France sont de véritables macaronées politiques. La première question que l’on s’adresse en lisant ces discours est celle-ci : M. de Boissy obtient-il ses effets oratoires par une originalité naïve ou pas une excentricité calculée ? Le sénat, à notre avis, a tort de prendre au sérieux les chevauchées à travers champs de cet enfant terrible. Il procure ainsi à M. de Boissy des succès inaccoutumés. Les lois et règlemens actuels ne nous permettent point d’entendre M. de Boissy au sénat, mais nous nous souvenons de l’avoir entendu à l’ancienne chambre des pairs. M. de Boissy n’était point alors un orateur amusant. Il débitait lourdement, du ton monotone d’un écolier qui récite une leçon, les énormités que le chancelier se donnait de temps en temps le plaisir d’interrompre. La chambre, au surplus, n’écoutait guère, et le bruit des conversations particulières couvrait ordinairement la voix de l’orateur. M. de Boissy, paraît-il, a plus de succès au sénat. À notre avis, son succès consiste en ceci : il échauffe son auditoire, provoque les interruptions et parvient à se faire donner naïvement par se collègues des répliques incroyables. Si M. de Boissy a le naturel malin et plaisant, ces répliques doivent le combler de joie et le pousser au paroxysme de la bonne humeur. La France dans ses unions avec ses gouvernemens peut être comparée à une veuve qui se serait plusieurs fois remariée : par