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blessure selon le mot espagnol, c’est bien alors que ce petit récit serait vraiment le fruit d’un art supérieur.

Ce n’est pas le nom de l’auteur qui a fait le succès du Péché de Madeleine. Ce nom est inconnu ; il a pris tous les détours et toutes les précautions pour venir au monde discrètement, sans fanfares, et, en honnête écrivain anonyme encore peu au courant des usages, l’auteur n’a même pas pris les moyens voulus pour se laisser deviner en se cachant. La curiosité mondaine a pu chercher, elle s’est égarée ici et là, partout où elle savait trouver de l’esprit et de la grâce ; elle n’a rien découvert jusqu’ici, elle en a été pour ses mille conjectures flatteuses et peut-être un peu embarrassantes pour les personnes distinguées qui en étaient l’objet. Tout ce qu’on peut dire, ce qui ne semble nullement douteux, c’est que l’auteur est une femme ; on n’a même pas besoin de son aveu pour le savoir. Il y a des finesses de perception dont un homme n’a pas le secret ; il n’a point à ce degré le sens de certaines choses, l’instinct de certaines situations poignantes. Il passe à côté de ces subtils mouvemens du cœur qui sont à eux seuls tout un drame. Pour bien d’autres raisons encore, on n’a jamais pu douter que ce ne fût une femme qui eût écrit ces pages. D’abord, dans cette simple et émouvante histoire, sans qu’il y ait ni affectation ni système, d’une façon toute naturelle au contraire, les hommes n’ont point décidément le beau rôle ; ils sont quelque peu sacrifiés et font un personnage assez médiocre ; on pourrait dire qu’ils sont jusqu’à un certain point des utilités. Ce sont les femmes qui sont les héroïnes, les vraies héroïnes par la passion ou par la résignation, par la bonne grâce ou par le courage. Et puis n’avez-vous point remarqué que ce drame du cœur féminin se noue entre deux coups d’œil jetés sur un miroir ? C’est en laissant tomber à la dérobée ses yeux sur une glace que Madeleine voit pour la première fois la flamme s’allumer dans le regard de ce jeune homme venu pour être le mari de sa cousine, et qu’elle aime déjà sans se l’avouer jusqu’à pécher et mourir pour lui. C’est aussi en regardant dans un miroir que la pauvre repentante après le péché est saisie de ce mouvement tragique et résigné quand elle voit, sans se reconnaître, son visage aminci, ses yeux agrandis outre mesure : « Où donc avais-je autrefois rencontré cette femme ? » Et en se retournant elle voit le fantôme se retourner comme elle : « Quoi ! c’est vous, Madeleine ? qu’avez-vous fait de votre jeunesse ? »

C’est donc bien une femme qui a écrit ces pages d’une émotion douloureuse, et on peut même ajouter que c’est une femme bien née, d’une éducation morale supérieure, qui goûte les beautés de l’Alceste de Gluck et n’ignore pas les raffinemens de la vie sociale. Au-delà, on ne sait plus rien, et encore une fois ce n’est pas le nom retentissant de l’auteur qui a pu provoquer l’attention et la curiosité. Ce n’est pas non plus précisément la nouveauté de la conception qui a fait le succès du Péché de Madeleine. Quoi ! un cœur condamné à l’isolement et qui ne peut être heureux qu’en