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tient-elle ? L’opinion algérienne est unanime à répondre qu’elle tient à l’heureuse organisation que donna aux Kabyles du Djurdjura en 1857 la conquête française. Avant ce temps, à chaque tribu de la Grande-Kabylie qui faisait sa soumission, il était d’usage d’appliquer la même organisation politique qu’en pays arabe, sans tenir compte de la répugnance naturelle à une population républicaine comme les Kabyles pour toute forme aristocratique de gouvernement. Après la campagne de 1857, rompant soudain avec les erremens du passé, le vainqueur[1] laissa au peuple du Djurdjura, sous le contrôle de l’autorité française, la libre jouissance de son administration nationale. On recueille maintenant les fruits de ce système ; que l’honneur en revienne à qui a su l’inaugurer.

Certes l’impression était saisissante lorsque, nouveau débarqué avant l’expédition de 1857, on regardait d’Alger le Djurdjura se dressant à vingt-cinq lieues vers l’orient, et qu’on entendait dire : « Le Djurdjura n’est pas encore à nous ! » Et cependant dès 1842 le maréchal Bugeaud avait senti que l’indépendance de la Grande-Kabylie était pour les tribus voisines une provocation constante à l’insurrection, et que, sans perdre de notre force morale, nous ne pouvions laisser presque aux portes d’Alger un peuple insoumis témoin vivant de notre impuissance. Dans des campagnes successives, il poussa ses armes victorieuses jusque sur la rive droite du Sébaou ; mais en 1847 même, dernière année de son glorieux commandement, alors qu’il parcourait en vainqueur la vallée de l’Oued-Sahel, il disait, montrant les tribus djurdjuriennes : « Nous ne sommes pas assez forts pour aller là ! »

C’était aussi un des axiomes du maréchal Bugeaud, que « pour posséder bien, il faut posséder tout. » Et en effet, tant que le Djurdjura, resté libre, put servir d’exemple à la révolte, les insurrections des tribus kabyles que l’on croyait conquises furent incessantes. On eut beau, durant des années, resserrer progressivement le blocus du massif djurdjurien, cette citadelle de la Grande-Kabylie voulait, avant de se rendre, les honneurs d’un suprême assaut ; elle les a eus. Ceux qui assistaient au dernier effort des Kabyles savent s’il fut énergique, et les soldats de Malakof, de Magenta, de Solférino, n’ont qu’à dire si le feu qu’ils ont entendu sur ces grands champs de bataille efface dans leur mémoire la terrible fusillade du combat d’Icheriden[2].

  1. Est-il besoin de nommer le maréchal Randon, qui gouverna l’Algérie de 1851 à 1858
  2. Qu’on ne nous taxe pas d’exagération ; nous avons eu l’honneur d’entendre le maréchal de Mac-Mahon apprécier ainsi le combat d’Icheriden. On ne saurait trouver de meilleur juge. Le rude combat d’Icheriden s’est livré le 24 juin 1857. Icheriden est un village de la confédération des Alt-Iraten, situé sur la crête qui se prolonge vers les Aït-Menguellet. Les Kabyles de tous les points du Djurdjura s’y étaient donné rendez-vous ; ils avaient élevé, en avant du village, une fortification complète en terre, abattis, branchages, qu’ils défendirent avec une vigueur acharnée, et dont nous ne nous rendîmes maîtres que par un mouvement tournant.