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c’est une lacune des kanouns que le Kabyle explique par une vérité peu morale : « le receleur est utile, on obtient de lui à bon marché ce que le voleur ne rendrait pas. »

Payées d’ordinaire le jour même de la condamnation, recueillies par les tamens et centralisées par l’amine, les amendes vont au trésor du village, où entrent aussi les droits divers que la djemâ prélève sur les successions, mariages, divorces, ou naissances d’enfans mâles[1]. Telles sont les ressources du budget ; elles ont à pourvoir surtout à trois sortes de dépenses[2] : travaux d’utilité publique, — frais d’hospitalité envers les voyageurs étrangers, — distributions de viande faites aux habitans du village et connues sous le nom d’ouzia.

Tout citoyen est corvéable en matière de travaux publics et doit sa part de main-d’œuvre. Ces travaux consistent à ouvrir et entretenir les chemins, construire et réparer les fontaines, la mosquée, la maison commune où se réunit la djemâ. La caisse publique achète les matériaux et paie les ouvriers qu’il est nécessaire d’appeler du dehors. — On sait déjà quel sentiment pieux les Kabyles attachent à la pratique de l’hospitalité. Un voyageur arrive dans un village, on l’héberge dans la maison commune et on le nourrit aux frais de la djemâ. Si la caisse est vide, chaque maison s’ouvrira, d’après un ordre établi, pour recevoir les hôtes, et l’amine désignera au voyageur celle où il doit trouver asile et nourriture. — Cependant la dépense principale et la plus unanimement votée de tout budget kabyle, c’est l’ouzia[3]. Au sein d’une vie laborieuse où l’homme a besoin de toute sa force physique, l’hygiène commande autant que la bienfaisance des distributions gratuites de viande dont tous les citoyens, les indigens surtout, puissent profiter. Quand un citoyen paie une forte amende, il y a fête dans le village, parce que toute forte amende est aussitôt transformée en ouzia. De même à chaque solennité, à chaque événement remarquable, la djemâ prend dans sa caisse l’argent nécessaire à l’achat de bœufs et moutons dont la viande se partage entre tous les habitans sur le pied de la plus

  1. Ces droits, qui sont réglés dans chaque village, sont en moyenne de 3 réaux (7 fr. 50 c.) pour mariages, divorces et naissances. Le droit sur les successions peut monter jusqu’à 20 réaux (50 fr.), si l’héritage est considérable.
  2. Sans compter les secours aux indigens et l’achat d’armes et de munitions pour les pauvres en temps de guerre.
  3. Grâce à l’ousia, le Kabyle mange en moyenne dix fois plus de viande que l’Arabe.