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entièrement effacé, on devait craindre d’avoir fourni des prétextes pour faire revivre l’ancien abus de solliciter la permission de César avant d’installer le nouveau pape. Il y avait aussi à se préoccuper d’un péril plus grand et presque certain. Ce délai si malheureusement accordé pouvait donner lieu à des changement parmi les électeurs eux-mêmes, soit naturellement à cause de la mobilité de l’intelligence humaine, soit subrepticement par les tentatives de ceux qui ne voulaient pas de Bellisomi pour pape. Souvent on avait vu de ces reviremens par des délais moins courts… » A peine en effet le courrier autrichien eut-il quitté Venise qu’Herzan s’empressa de profiter de cet intervalle pour former une faction qui rendît l’élection de Bellisomi impossible en empêchant le nombre de ses adhérens d’augmenter. A lui tout seul, l’ambassadeur autrichien aurait peut-être manqué des talens et de la sagacité nécessaires pour réussir dans une si difficile entreprise ; « mais le hasard (nous continuons à citer Consalvi), qui gouverne toutes les choses humaines, ou, pour mieux dire, la Providence, qui, par ses vues secrètes, dispose des événemens selon ses desseins, permit que d’autres, plus habiles et plus madrés que Herzan, fissent ce qu’il n’aurait jamais pu ou su accomplir. »

C’est en ces termes que le prélat secrétaire du sacré-collège introduit sur la scène un personnage considérable, qui ne laissa pas déjouer, depuis ce moment jusqu’à la fin du conclave, un rôle tout à fait singulier. C’était, quoiqu’il ne soit pas nommé dans les mémoires de Consalvi, un certain cardinal Antonelli. Sa haute probité, paraît-il, était incontestable, aussi bien que son grand mérite. Il était estimé de tous, mais personne ne l’aimait à cause de la dureté de son caractère. Un autre défaut gâtait tous ses avantages : c’était le besoin de persuader que tous les événemens importans étaient son œuvre. En un mot il ambitionnait de dominer partout. Ce cardinal savait très bien qu’il ne pouvait se flatter de devenir souverain pontife, mais il avait décidé que lui, et pas un autre, ferait le pape, et que l’élu ne devrait qu’à lui seul la tiare et le trône. Pour un homme d’un tel caractère, il était facile de prendre la conduite de la faction que le cardinal Herzan était incapable de diriger. Par ses discours, auxquels son crédit personnel ajoutait un grand poids, par le secours de l’ambassadeur autrichien, avec lequel il s’était subitement lié, il réussit assez vite à former un parti d’opposition suffisant pour atteindre le but désiré. L’usage des conclaves veut que les cardinaux aillent chaque jour aux voix pour la nomination du pape. Ils doivent jeter dans une boîte scellée des bulletins de vote qui sont ensuite brûlés aussitôt que dépouillés. A dater du moment où le cardinal Antonelli eut organisé ses