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ni un centre politique, ni un centre intellectuel, pas même un centre commercial, ne semblait, à aucun titre, prédestinée à devenir une capitale du goût. C’est une ville aux mœurs paisibles et régulières, qu’encadre un paysage aussi monotone que la vie qu’on y mène ; le talent n’a pu y trouver d’excitation qu’en lui-même, et tout doit y être rapporté à l’initiative des individus. Aussi entre les productions de cette école et celles des artistes bavarois remarque-t-on une différence bien tranchée : les travaux de Düsseldorf restent complètement indépendans de l’architecture ; plus libres dans leurs tendances, les artistes de cette ville ont su se garantir des exagérations symboliques ou allégoriques auxquelles la peinture monumentale se laisse si facilement entraîner.

Chacune de ces deux écoles a subi, dans son développement, plus d’une transformation remarquable. L’esprit qui les anime aujourd’hui n’est plus celui qui a inspiré leurs premières productions. Dans l’enivrement d’une nouvelle renaissance, les maîtres allemands s’étaient posés en régénérateurs de l’art ; ils n’avaient pas hésité à proclamer qu’avant eux la peinture avait fait fausse route, et qu’elle commençait seulement à prendre conscience de sa véritable mission. La métaphysique avait envahi le domaine du goût : on ne se croyait plus le droit de tenir un pinceau avant de s’être construit un système sur la fin de l’art en général, sur ses rapports avec la science, la morale et la religion. L’Allemand aime à faire précéder la pratique d’une théorie ; si d’ordinaire il manque de tact dans le choix des principes, il excelle du moins à en tirer toutes les conséquences rigoureuses. A-t-il adopté une manière de voir, vraie ou fausse, il juge à priori que tout ce qui en sera une application doit être beau et irréprochable ; il admire avec sa logique bien plus qu’avec son goût. Il en résulte que toute doctrine d’esthétique, quelle qu’elle soit, a dû avoir en Allemagne un retentissement dans l’art contemporain. Au lieu des préjugés de l’ignorance, ce pays a trop souvent les préjugés de l’érudition, et il ne faut pas s’étonner de le voir revenir dans la peinture à des formes surannées qui paraissent même en contradiction avec l’esprit et les besoins de l’époque. C’est encore cette disposition du génie allemand qui explique comment le symbolisme, le réalisme, l’idéalisme classique et l’idéalisme romantique, qui au premier abord semblent s’exclure, répondre à des goûts opposés et appartenir à des périodes bien distinctes du progrès de l’art, ont pu s’y manifester presque simultanément. Il arrive souvent en Allemagne que la naissance d’une école ou un changement de manière dans cette école est moins un fait spontané ou commandé par les circonstances que le résultat de vues systématiques.

Nous voudrions passer en revue les différentes phases que la peinture