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(commencement de la vingt-sixième dynastie) à quelques jours près (665 ans avant Jésus-Christ). Sésac, qui prend Jérusalem sous Roboam (vers 970 avant Jésus-Christ), est le premier souverain de la vingt-deuxième dynastie ; la chronologie biblique, vers ce temps, flotte dans des limites d’erreur assez resserrées. Par conséquent, avant l’an 970 ou à peu près, il faut de toute nécessité caser vingt et une dynasties, et trouver de l’espace pour presque tout le développement de la grandeur égyptienne. En effet, loin que l’Égypte, au temps de Salomon, traverse sa période la plus florissante, il faut dire qu’à ce moment elle est en pleine décadence. Les pressions du dehors l’enserrent de toutes parts ; elle est à moitié vaincue déjà par l’Asie. Tous les ouvrages insignes des cinq ou six « Louis XIV » qui ont couvert la plaine de Thèbes des monumens de leurs victoires et de leur orgueil sont notoirement antérieurs à l’an 1000 avant Jésus-Christ. Cette grande ère des dix-huitième, dix-neuvième, vingtième dynasties, des Amosis, des Aménophis, des Touthmès, des Séthi, des Ramsès, nous a laissé une masse énorme d’inscriptions, et on peut dire que nous la connaîtrions avec autant de certitude que l’état de l’empire romain au IIIe siècle de notre ère, si le nombre des savans qui copient et traduisent les textes égyptiens était plus considérable. Thèbes aux cent pylônes[1] est le livre toujours ouvert de cette triomphante histoire. Je suis resté quatre jours en cette bibliothèque sans égale, guidé par M. Mariette, mon admirable « exégète[2], » d’obélisque en obélisque, de chapelle en chapelle. Sans doute une foule de réserves sont ici à faire. Plus d’une fois, à la vue de ces files de vaincus humiliés ou exterminés par le pharaon, j’ai pu regretter que les vaincus aussi n’aient pas su peindre. Le style officiel des scribes royaux me faisait involontairement songer à cette relation chinoise de l’une des dernières expéditions anglaises, où l’on voit la défaite des barbares, ceux-ci se jetant aux pieds de l’empereur pour lui demander grâce, et l’empereur, par pitié pure, leur accordant un territoire. Dans le Pentaour lui-même[3], que j’ai vu gravé en deux endroits, quelle basse flatterie ! quelle éloquence de Moniteur ! quel style de journaliste officiel ! mais aussi quelle pleine sécurité sur l’authenticité du texte ! quelle certitude directe, et, si j’ose le dire, documentaire ! Or cette grande époque des Aménophis, des Touthmès, des Ramsès commence dix-sept cents ans avant Jésus-Christ.

  1. Et non « aux cent portes, » car la ville n’était pas fermée.
  2. On appelait « exégète, » dans les temples anciens, la personne qui montrait aux étrangers les curiosités du temple, leur en racontait la légende, leur en lisait les inscriptions.
  3. Poème sur une campagne de Ramsès II traduit par M. de Rougé.