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qu’on en laissera une partie pour subvenir à leurs nécessités dans l’autre vie.

Au premier coup d’œil, rien absolument, dans les singulières constructions que nous venons de décrire, ne rappelle un tombeau. Ce sont des maisons, et c’est ici que l’on comprend la parfaite justesse de ce passage de Diodore de Sicile : « les Égyptiens appellent les demeures des vivans des gîtes, parce qu’on y demeure peu de temps ; les tombeaux au contraire, ils les appellent « maisons éternelles, » parce qu’on y est pour toujours. Voilà pourquoi ils ont peu de souci d’orner leurs maisons, tandis qu’ils ne négligent rien pour la splendeur de leurs tombeaux[1]. » Le cadavre, en ces maisons mortuaires, est soigneusement dissimulé. Au plus épais de la maçonnerie, à l’endroit qu’on pouvait le moins soupçonner, se trouve un puits vertical, toujours carré ou rectangulaire, d’environ 25 mètres de profondeur ; au fond de ce puits s’ouvre un couloir horizontal menant à une chambre : là est le sarcophage monolithe, immense cuve en granit ou en calcaire blanc, dont les pans sont quelquefois décorés de rainures prismatiques et d’autres ornemens analogues à ceux de la façade extérieure du tombeau. La préoccupation qui domine est de mettre le corps à l’abri de toute profanation. On sent que, dans la croyance générale, une telle profanation est un immense malheur, que le salut éternel du mort est compromis, si le cadavre est dérangé de son repos, que l’âme, au jour de la résurrection, aura besoin de trouver le corps intact, principe qui se trahit du reste si naïvement dans l’usage de la momification. Une autre particularité non moins importante a été découverte par M. Mariette. Dans l’épaisseur de la maçonnerie, également dissimulés avec soin, ont été ménagés des réduits complètement obscurs, où se trouvent des statues en ronde bosse du mort, statues semblables, au mode de travail près, à celles qui se voient en bas-reliefs dans les chambres ouvertes du tombeau. Ces précieux spécimens de la sculpture égyptienne 4000 ans avant Jésus-Christ, tantôt en bois, tantôt en granit, tantôt en calcaire, sont maintenant fort nombreux ; ils forment la principale richesse du musée de Boulaq ; à l’époque où M. Mariette travaillait pour la France, il en envoya plusieurs au Louvre. Vous connaissez cet admirable petit scribe du musée Charles X, et vous savez par conséquent quelle finesse d’exécution, quel réalisme minutieux, quelle précision ethnographique, si j’ose le dire, les artistes égyptiens y ont portés. Tout cela est laid, commun, vulgaire, assurément ; mais jamais on n’a mieux fait ce qu’on voulait faire. C’est un prodige sans égal que cette statue de bois du

  1. Diodore de Sicile, I, 51.