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pas de temples. L’idée d’élever une maison aux dieux n’est nullement aryenne. Le temple aryen, c’est le lemenos, l’enclos en plein air, le bois sacré[1]. Les Sémites nomades pratiquaient aussi leur culte au milieu de la libre nature, à la face du ciel. L’idée de loger la Divinité suppose ou une imagerie religieuse déjà fort développée, ou un culte fixé et devenu traditionnel depuis des siècles. Cette idée, nous la voyons naître avec une naïveté charmante chez les Hébreux, quand ils commencent à s’asseoir d’une manière durable, 1000 ans environ avant Jésus-Christ. « Quoi, dit David, je suis logé dans un palais de cèdre, et Jéhovah n’a qu’une tente ! » De là le temple de Jérusalem. L’idée analogue naquit-elle chez les Grecs spontanément ou par une influence étrangère ? Je l’ignore ; mais ce qui me paraît probable, c’est que dans le choix des modèles ils s’adressèrent à l’Égypte. Plusieurs des données matérielles du temple grec me semblent avoir été empruntées au temple égyptien. Le naos, de part et d’autre, est la partie génératrice de l’ensemble. Le pronaos, parfois même le péristyle, sont conçus des deux côtés de la même manière. La colonne égyptienne et la colonne grecque, avec leur fût diversement calibré, leur chapiteau aux formes végétales, leur polychromie, partent du même type organique, en opposition avec la raideur du pilier. Les cariatides et les Atlas ou Télamons de la Grèce, de la Sicile, de l’Italie, rappellent les colosses osiriens de l’Égypte ; mais ce qui est bien plus frappant, c’est l’ordre d’architecture égyptienne que Champollion nomma « protodorique, » et dont le modèle le plus parfait se voit aux grottes sépulcrales de Beni-Hassan (2500 ans avant Jésus-Christ.) Le galbe général, la cannelure, le chapiteau, l’architrave, les mutules, rappellent tout à fait le dorique grec. Certes les Grecs ne firent pas un emprunt si important à des monumens aussi secondaires que ceux de Beni-Hassan ; mais l’ordre dont nous parlons eut en Égypte une grande extension. Memphis et Saïs étaient probablement bâties en ce style. Là peut-être les Grecs en virent des spécimens et en comprirent la solide beauté. Sous le rapport du goût, du sentiment de la proportion et de l’harmonie, de la perfection exquise de l’exécution, les Grecs gardent une immense supériorité ; emprunter de la sorte, c’est vraiment créer. Cependant il est certain qu’en ce qui concerne les règles essentielles de l’architecture ils furent devancés ; à vrai dire, cet art est de telle nature que, les principes en étant une fois trouvés, on ne les réinvente plus.

Il en fut de même pour l’industrie. J’ai sous les yeux des objets

  1. Templum est le même mot que temenos. Selon moi, le nemet celtique a la même origine.