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s’est imposé surtout pour loi absolue de ne jamais enrichir son musée aux dépens des monumens. Tandis que la collection égyptienne de Berlin par exemple a été formée en portant la scie et la hache dans de précieux monumens qui n’offrent plus, depuis le passage de M. Lepsius, que l’aspect de la destruction, l’inappréciable musée du Caire n’a pas amené la démolition d’un seul édicule. On s’est borné à prendre les objets détachés, et qu’on ne pouvait songer à laisser sur place. Il faut louer hautement le gouvernement égyptien de la droiture d’esprit dont il a fait preuve en tout cela. Non-seulement Saïd-Pacha et son successeur Ismaïl-Pacha ont compris qu’en un pays comme l’Égypte le service des antiquités doit compter au nombre des premiers services publics, mais, avec une intelligence dont peu de ; gouvernemens européens se seraient montrés capables, ils n’ont pas cherché une seule fois à faire dévier M. Mariette de sa grande ligne sérieuse pour lui demander de ces choses voyantes ou puériles qui captivent l’admiration des gens peu éclairés. Les gouvernemens qui veulent bien patroner la science ne font rien, si en même temps ils ne la laissent libre de suivre ses directions, ne lui demandant autre chose que la grande et solide gloire qu’elle sait conférer.

Les difficultés contre lesquelles M. Mariette a dû lutter pour arriver à ces résultats sont inouïes. Depuis plus d’un demi-siècle, les antiquités égyptiennes étaient au pillage. Ce qui a été détruit en ce laps de temps est incalculable. Les pourvoyeurs de musées ont couru le pays en vrais vandales ; pour obtenir un lambeau de tête, un fragment d’inscription, on a réduit en morceaux de précieux monumens. Presque tous revêtus d’un titre consulaire, ces avides destructeurs ont traité l’Égypte comme leur propriété. Plus d’une fois M. Mariette s’est vu arrêté dans ses fouilles par des gens qui sont venus alléguer des privilèges ou des droits prétendus sur les objets à découvrir en tel ou tel endroit. Cependant le pire ennemi des antiquités égyptiennes, ç’a encore été le voyageur anglais ou américain, systématiquement protégé dans tous ses méfaits par son consul. Les noms de ces idiots iront à la postérité, car ils ont pris soin de les écrire eux-mêmes, sur les monumens célèbres, en travers des dessins les plus délicats. C’est ainsi que les peintures inappréciables des grottes de Beni-Hassan ont presque disparu. Les plus beaux tombeaux de Biban-el-Molouk sont odieusement lacérés. Un endroit inappréciable des sculptures de Deir-el-Bahari (à Thèbes) fut volé quelques jours après que M. Mariette venait de le rendre au jour. On a proclamé le sage principe que les antiquités sont la propriété du gouvernement, des surveillances consciencieuses sont établies ; mais que faire contre un brutal étranger qui arrive se