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Rome travaillait à s’emparer de la rive droite du Rhin pour que ses sujets et ses colons pussent habiter en sûreté la rive gauche. Sur cette étroite et longue bande de terrain dont on fit la double province de Germanie se trouvaient groupés, en moyenne, près de cinquante mille légionnaires et à peu près autant de soldats auxiliaires. Ajoutez que partout se construisaient alors des châteaux forts sur les bords du Rhin et dans les vallées qui viennent y aboutir ; des villes se bâtissaient, où affluait une population mêlée des élémens les plus divers. C’étaient, comme nous dirions aujourd’hui, des fonctionnaires romains, avec leur suite souvent nombreuse ; c’étaient des vétérans, fils de l’Italie ou soldats des cohortes auxiliaires recrutées sur tous les points de l’empire, qui avaient épousé des femmes gauloises ou germaines, et qui, leur congé obtenu, restaient dans la contrée où étaient nés leurs enfans ; c’étaient de petits marchands, accoutumés à suivre les armées et à spéculer sur les besoins, les goûts et les vices du légionnaire ; c’étaient enfin des hommes du pays, gens de métier, sûrs de trouver du travail là où tout était à créer, propriétaires et chefs indigènes séduits par les douceurs de la vie citadine. Il y avait donc là tout un peuple, toute une société nouvelle à pourvoir et à nourrir. Bientôt reliée au centre de la Gaule par une grande voie dont on retrouve encore maintenant les traces en plusieurs endroits, et qui allait aboutir à la riche capitale des Rêmes, Durocortorum, aujourd’hui Reims, Trèves était admirablement placée pour servir d’entrepôt. On ne peut donc douter, quoique les détails nous manquent, que l’oppidum celtique des Trévires n’ait bientôt vu s’élever, au milieu de ses anciennes maisons aux parois faites de claies revêtues de terre battue, aux toits couverts de chaume ou de paille hachée et pétrie avec de l’argile, des demeures plus vastes et plus commodes, ornées de ces peintures murales, de ces stucs, de ces meubles d’une sévère élégance, que l’on admire à Pompéi. La génération des compagnons d’armes de Vercingétorix n’avait pas encore disparu que déjà la plupart des nobles gaulois se piquaient de parler la langue et de copier les manières de leurs vainqueurs. C’était en partie désir inné d’apprendre, de briller et de jouir, goût instinctif du luxe et de l’éclat, en partie calcul d’ambition et envie d’attirer sur soi les yeux et la faveur de l’empereur et de ses délégués. On sait la politique qu’Auguste avait inaugurée en Gaule, et que suivirent ses successeurs immédiats : ce qu’ils tentèrent, ce qu’ils voulurent avec persévérance et succès, c’était détruire les anciennes associations, effacer les vieux noms et les vieux souvenirs, dépayser les Gaulois, si l’on peut ainsi parler, ôter à la Gaule la conscience et la mémoire. On comprend que le gouvernement romain ne dut pas être avare de ses encouragement