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Lingons, avait attaqué les Séquanes, restés fidèles à l’alliance romaine, et s’était fait battre. Pour mettre fin à ces luttes fratricides, les Rêmes convoquèrent dans leur capitale, Durocortorum, une assemblée de tous les délégués de la Gaule. L’heure était solennelle. La Gaule paraissait livrée à elle-même et maîtresse de son propre sort. Les Gaulois avaient été jusqu’à la conquête romaine les enfans terribles de l’ancien monde ; ils s’étaient joués en toute sorte de hardis caprices et d’aventureuses expéditions ; ils avaient touché à tout et brisé tout ce qu’ils touchaient ; ils avaient eu, en toute entreprise, et que n’avaient-ils pas tenté ? des débuts brillans, foudroyans, pour arriver bientôt à de subits échecs, à des chutes rapides et profondes. Il s’agissait de savoir si, après avoir détruit, ils sauraient fonder, après avoir conquis, administrer, après avoir secoué le joug romain, dérober à Rome cet art de commander qui lui avait donné l’empire du monde.

Dans ce grave débat, les Rêmes, ces cliens obstinés de Rome, qui avaient commencé à douter et à désespérer de la liberté celtique avant même qu’elle fût sérieusement menacée, se firent les défenseurs de l’ordre établi, les avocats du repentir et de la fidélité soumise ; ils traitèrent l’empire gaulois de vain fantôme : c’était, dirent-ils, entre la tutelle bienfaisante de Rome et la domination tyrannique des avides et cruels Germains que la Gaule avait à choisir. Les Trévires, qui s’étaient mis, dès le premier jour, à la tête du mouvement, firent au contraire appel aux vieux souvenirs d’indépendance, au patriotisme, à l’ambition nationale. L’assemblée parut un moment se laisser entraîner par ces exhortations et séduire par ces brillantes perspectives ; mais lorsqu’il fut question de poser les bases de l’empire gaulois, toutes les anciennes rivalités éclatèrent. Avant même d’avoir commencé d’être, le nouveau royaume était déjà scindé en provinces rivales, voué à une profonde et lamentable anarchie. Avec leur ordinaire mobilité, ces vifs esprits aperçurent toutes les difficultés, tous les dangers auxquels on les poussait : « le dégoût de l’avenir, dit Tacite, fit aimer le présent. » Il serait trop long de raconter en détail la débâcle qui suivit, comment, à l’approche des troupes de Vespasien, les légions qui avaient trahi Rome retournèrent à leurs anciens drapeaux, comment les Trévires, les Lingons et les Nerviens, qui avaient seuls persisté dans la révolte, se firent battre les uns après les autres, sans avoir su concerter leurs efforts, ni donner à Civilis le temps d’arriver à leur aide. Classicus et Tutor, ces derniers et malheureux champions de l’indépendance gauloise, allèrent, avec cent treize sénateurs trévirois compromis dans la révolte, vieillir et mourir loin de leur patrie, parmi les Germains d’outre-Rhin.