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notre ère ? est-ce celui que l’on trouve dans les autres monumens de Trèves, — dans l’amphithéâtre, les thermes et la basilique, — à Constantinople, dans le palais de Constantin ou dans les parties même les plus anciennes de l’enceinte, — à Rome, dans les murs d’Aurélien ou dans la grande basilique du Forum, — à Paris, dans les thermes de Julien ? Ne préférait-on pas alors le petit appareil, des moellons noyés dans un bain épais de mortier, et reliés de place en place par des cordons de briques ? Au contraire, c’est ce grand appareil sans ciment que l’on rencontre à Aoste, dans cette porte qui date certainement de la fondation même de la colonie, et qui appartient ainsi au règne d’Auguste.

M. Hübner a signalé le premier un autre ordre d’indices qui conduisent aussi à reporter au Ier siècle de notre ère la construction de la Porte-Noire : je veux parler des caractères qui se lisent encore très distinctement gravés sur une des faces d’un très grand nombre des blocs de grès. Ces caractères forment des groupes de deux, trois ou même quatre lettres qui ne sont que des abréviations de noms propres. Je citerai AGE, MAR, MAG, AIVL, SEC, COM, CROBI, CAM, etc. D’autres exemples analogues, les inscriptions que portent les briques, les tuiles, les tuyaux d’argile, les noms écrits en entier ou en abrégé, que M. Hübner a lus sur les blocs de travertin du Colisée, conduisent à penser que l’on a là des espèces de marques de fabrique. Les lettres se trouvant souvent ici renversées la tête en bas, par suite de la position qui a été donnée dans la construction au bloc qui les porte, on peut conclure de ce fait que c’est sur les chantiers que les pierres ont reçu ces empreintes. J’inclinerais donc à croire que nous devons chercher dans ces groupes les noms, les marques des différens entrepreneurs appelés à concourir aux travaux. Quoi qu’il en soit de cette explication, ce qui est certain, c’est que la forme de ces lettres, contemporaines de l’érection de l’édifice, nous fait songer aussitôt à une époque très voisine de la fin de la république. Sans suivre ici M. Hübner dans la discussion paléographique où il s’est engagé au sujet de ces inscriptions, il nous suffira de dire que nous en avons, l’automne dernier, recopié plusieurs nous-même, et que nous avons pu ainsi reconnaître la parfaite exactitude du tableau qu’il en a dressé. À quelques lettres près, qui ne se sont encore trouvées jusqu’ici dans aucun des groupes, vous pourrez tirer de ces listes l’alphabet dont se servaient les tailleurs de pierre trévirois au moment où fut construite la Porte-Noire. Or comparez cet alphabet à ceux que nous fournit, pour le dernier siècle de la république, le célèbre paléographe de Bonn, Frédéric Ritschl, et aux graffiti de Pompéi ; vous serez frappé de la ressemblance. Comme vous le reconnaîtrez tout d’abord, plusieurs de nos lettres de Trèves ont encore une physionomie archaïque,