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construction. On a fait la même remarque pour la porte d’Aoste, qui, elle aussi, ne porte pas d’inscription. M. Hübner croit, à divers indices, que la colonie aurait été fondée, comme la Colonia Aggrippina (Cologne), sous Claude, c’est-à-dire vers 40 après Jésus-Christ. Dans cette hypothèse, on s’expliquerait aisément une particularité qu’il importe de remarquer. À la Porte-Noire, sur bien des points, le ravalement n’a pas été terminé ; beaucoup de chapiteaux n’ont été que dégrossis. C’est que les désordres qui suivirent la mort de Néron auraient fait suspendre les travaux avant que les ouvriers eussent entièrement fini leur tâche ; interrompus par la révolte des Trévirois, ils n’auraient jamais été repris depuis lors. On pourrait citer, dans l’antiquité et dans les temps modernes, plusieurs exemples d’édifices qui sont restés ainsi inachevés. Nous aurions donc aujourd’hui la Porte-Noire dans l’état même où l’ont laissée la rébellion de Classicus et de Tutor, la guerre de Civilis et des Bataves.

La Porte-Noire est le plus imposant des monumens antiques de Trèves, celui qui, par sa masse, par la noblesse de son style, par sa surprenante conservation, produit le plus grand effet sur le voyageur et témoigne le mieux, pour qui n’aurait point vu l’Italie, de la puissance et de la grandeur romaines. Les autres ruines de Trèves nous font descendre au IIIe siècle ; elles datent du temps où Trèves était la première ville des Gaules et la résidence des empereurs, et pourtant qu’elles sont moins belles et moins intéressantes que la Porte-Noire ! C’est que les temps sont bien changés : on cherche surtout l’apparence, l’ostentation de la richesse ; l’architecte, comme s’il sentait que le temps lui manque et qu’il n’est point sûr du lendemain, aime les matières qui sont d’une mise en œuvre facile et rapide, telles que la brique. Il la cache, il est vrai, sous des peintures à fresque, sous des revêtemens de stuc et de marbre ; mais, une fois ces revêtemens abattus par le temps, que reste-t-il d’une construction en briques, sinon des masses énormes et confuses, sans contours arrêtés, sans cette nette et vive silhouette que conserve, même aux trois quarts détruit, un monument de pierre ou de marbre ? La brique d’ailleurs, par sa nature même, se prête difficilement à recevoir des moulures en saillie ; partout où elle est seule employée, l’œil est exposé à rencontrer souvent de grandes surfaces verticales, plates et froides, ou manquent ces passages d’un plan à un autre et ce jeu des ombres qui font la beauté d’une façade, ou même d’une muraille en pierre, dès qu’elle a son soubassement et son entablement.

Tel a toujours dû être le défaut de la basilique, grand édifice rectangulaire terminé par une abside, construit tout entier, en briques. Ce monument, où l’on a voulu chercher aussi un palais, un