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Et le prince de Noer continuait d’être investi de la dignité de commandant en chef de l’armée et de gouverneur dans les duchés ! Le double jeu fut ainsi joué jusqu’au bout, jusqu’au moment où l’un des frères s’emparait de la forteresse de Rendsbourg, et l’autre adressait au « peuple de Slesvig-Holstein » un appel aux armes. Encore le langage hypocrite n’était-il pas complètement dépouillé à ce moment même, et dans cet appel aux armes le duc Christian expliquait son acte de rébellion ouverte par le fait que le roi « était entouré de Danois violemment excités et n’avait pas la liberté de ses résolutions !… »

C’est de cette connivence (de ce connubio, diraient les Italiens) entre la science germanique avide d’annexions et une famille princière ambitieuse, — toutes les deux également comblées de faveurs par une dynastie généreuse et débonnaire, — que date la période active et vraiment politique d’une propagande dont les phases antérieures intéressent surtout l’archéologie et l’histoire littéraire. Le slesvig-holsteinisme eut, à partir de 1838, ses chefs influens, ses visées précises, son prétendant même plus ou moins avoué, et la longanimité du gouvernement danois pendant toute cette période envers une agitation d’un caractère si dangereux et d’une portée si évidente est un phénomène assurément fait pour surprendre, — qu’il devient presque impossible d’expliquer par le seul désir d’éviter les embarras et de conjurer une catastrophe. Il faut bien le dire, les vicissitudes contemporaines (les plus récentes même) du Danemark présentent ainsi plus d’un point encore demeuré obscur, et qui sait si, pour les éclairer tous, le futur historien ne devra pas faire le dénombrement de la classe gouvernante de la monarchie scandinave, étudier en détail les familles traditionnellement investies dans ce royaume des hautes charges de la cour et de la diplomatie, et dont une grande partie n’a peut-être pas complètement dépouillé une origine holsteinoise et des attaches allemandes ? Toujours est-il que le roi Christian VIII notamment[1] crut longtemps à l’efficacité d’un système d’indulgence et de tempéramens dont les princes d’Augustenbourg se faisaient auprès de lui les interprètes insinuans et perfides. Le prince de Noer assurait son auguste maître « que les fonctionnaires et habitans des duchés étaient animés envers sa majesté de sentimens beaucoup plus loyaux que ses propres sujets du Danemark, » et le souverain se plaisait à confier, sur la présentation de son cousin, les postes les plus importans du pays à des personnes enrôlées de longue date sous la bannière de l’union ;

  1. On sait qu’il succéda en 1839 au roi Frédéric VI, qui avait régné depuis 1808. Le successeur de Christian VIII en 1848 fut Frédéric VII, mort en 1863.