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il accepta même un jour (1842), et en toute intimité, les excuses du duc Christian alors que celui-ci avait pris sur lui de faire supprimer une phrase significative dans le message royal à la diète de Slesvig, la phrase qui rappelait simplement que le duché de Slesvig était placé sous la couronne de Danemark ! On se doute bien que, sous un pareil régime, l’éclat, et la protection ne manquèrent pas non plus à la grande école de Kiel, veuve depuis longtemps de son Dahlmann, mais demeurée toujours le foyer principal de la propagande germanique sur l’Eider. Le gouvernement tint à honneur d’y réunir les maîtres les plus renommés de l’Allemagne pour leur science et leur patriotisme, les Droysen, les Waitz, se rendirent à l’appel, et ils ne furent pas plus tôt installés qu’ils se mirent à démontrer les droits sacrés de la grande patrie sur le Slesvig. Plus tard ils devaient siéger tous dans le gouvernement provisoire des duchés. Le croirait-on ? jusqu’en 1850, le Danemark maintint la bizarre loi nommée biennium universitatis, loi qui interdisait tout emploi, même dans le Slesvig, aux personnes qui n’auraient pas justifié d’un séjour de deux ans à l’université de Kiel !…

Grâce ainsi à la simplicité de Christian VIII et à la duplicité de ses « cousins, » le mouvement séparatiste se fortifiait de plus en plus dans les duchés, et ce qui ajoutait à la gravité de la situation, c’est que cette recrudescence coïncidait précisément avec une période où l’Allemagne, de son côté, avait pris un essor tout nouveau après de longues années d’engourdissement et d’apathie. Depuis l’alerte causée en 1840 au sujet du « Rhin allemand » et l’avènement de Frédéric-Guillaume IV en Prusse, les peuples de la Germanie, on s’en souvient, sont entrés dans une époque critique, dans cette époque d’agitation unitaire et réformiste dont rien encore n’annonce la fin. Or il arriva qu’alors, comme maintes fois plus tard, les aspirations de nos voisins vers l’unité et la liberté furent bien vite traversées, primées même, par ces vues d’agrandissement et de conquête qui semblent être l’épanouissement naturel du génie tudesque à son état d’exaltation. Les esprits en Allemagne commencèrent donc à être puissamment attirés vers l’Eider ; des publicistes ingénieux se demandèrent même si le Danemark n’était pas au fond appelé par la « politique rationnelle » à devenir « l’état-amiral » (Admiralsstaat) de la Germanie future, d’une Germanie libre, unie et régénérée ; l’hymne national du « Slesvig-Holstein enlacé par la mer (meer-umschlungen) » remplaça peu à peu dans toute réunion populaire la fameuse chanson de Becker sur « le Rhin allemand, » et quand le roi Christian VIII, averti enfin sur le danger, publia la célèbre lettre-patente du 8 juillet 1846, qui maintenait simplement les droits incontestables de la couronne de Danemark sur