Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/740

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dogme souverain de « la politique de l’avenir, » l’arche sainte, la loi et les prophètes, l’ultima ratio des peuples… Sans doute il y avait et il y a en effet des Allemands de l’autre côté de l’Eider : grâce à la tolérance, à la sociabilité, à la sympathie traditionnelle des Danois pour cette race germanique dont ils avaient même maintes fois défendu les intérêts, les armes à la main ; depuis l’époque de Witikind, des colons, des émigrans teutons ont pu de tout temps s’établir dans le Jutland méridional ; appelé plus tard le Slesvig ; ils s’y sont établis et multipliés, ils y ont prospéré, comme ils ont également prospéré dans plusieurs provinces de la Pologne (dans celle de Posen notamment), où ils avaient jadis cherché refuge contre les persécutions politiques ou religieuses de leur saint-empire ; mais depuis quand le bienfait de l’asile accordé a-t-il pour conséquence légale ou morale la spoliation du bienfaiteur ? Depuis quand Tartufe, hospitalièrement reçu, est-il sérieusement admis à dire que la maison est à lui, et que c’est à l’honnête Orgon d’en sortir ? Le premier, le plus simple devoir de tout colon et émigré n’est-il pas de respecter les lois du pays qui l’accueille, de suivre les destinées de la patrie de son choix ? Et que dirait la France, si les nombreux Allemands domiciliés à Paris engageaient le Bund à procéder à une petite exécution fédérale dans le quartier de la Villette ? La population tudesque de Paris est pourtant assez près déjà d’atteindre ce chiffre des frères que le général Wrangel est allé « délivrer » dans le Slesvig ; et il est vraiment heureux que les grandis patriotes du National Verein se bornent pour le moment à gémir sur le sort de leurs « frères opprimés » dans l’Alsace et la Lorraine !… Hélas ! et pour parler plus sérieusement, l’histoire ne cite que trop de peuples broyés, anéantis et expropriés par ces Germains dont le bon Froissart disait déjà au XIVe siècle : « Allemans de nature sont rudes et de gros engin, si ce n’est à prendre leur proffit, mais à ce sont-ils assez experts et habiles ? item moult couuoiteux et plus que nulles autres gens, jà ne tiendroyent rien de choses qu’ils eussent promis ; telles gens valent pis que Sarrazins ne payens… » Humbles à la fois et présomptueux, sobres et prolifiques, expansifs et tenaces, pratiquant avec persistance leur ancien proverbe ubi bene, ibi patria, et gardant néanmoins toujours un âpre attachement à la mère-patrie, les Allemands s’infiltrent en tout pays, pénètrent dans toutes les régions, ne dédaignent aucun coin de la terre habitable. Ils ont leurs familiers et consanguins sur tous les trônes et dans tous les comptoirs du monde ; ils peuplent les centres industriels de l’Europe et les nouveaux territoires des États-Unis ; ils exproprient la Pologne et la Hongrie et administrent la Grèce ; ils décident la nomination du président Lincoln,