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Gortchakov venait précisément de mettre une brusque fin par sa réponse du 7 septembre c’est ; qu’on était parfaitement instruit à Paris des obstacles que n’avait cessé d’opposer la politique anglaise à une entente sérieuse entre l’Autriche et la France ; on y savait aussi le langage tenu tout récemment par lord Clarendon à Francfort. L’homme d’état britannique y avait plaidé devant l’empereur François-Joseph la cause de la paix : sur l’Eider ; mais il avait également dissuadé le Habsbourg, de rien entreprendre sur la Vistule et mis l’Allemagne en garde contre les desseins ténébreux de l’empereur Napoléon. M. Drouyn de Lhuys était d’autant moins disposé à suivre lord Russell dans une passe d’armes contre l’Allemagne qu’il ne désespérait pas encore à ce moment de pouvoir gagner l’Autriche à une action sérieuse en faveur de la Pologne. Aussi répondit-il à M. Grey que le mode de procéder, suggéré par sa seigneurie serait analogue à la marche qu’on avait suivie, dans la question polonaise, et dont on n’avait pourtant guère lieu d’être fier. « Je n’ai aucune inclination, dit le ministre français, à placer la France vis-à-vis de l’Allemagne. dans la position où elle avait été placée vis-à-vis de la Russie, et j’avoue franchement que je parlerai dans ce sens à l’empereur. À moins que le gouvernement britannique ne fut décidé à faire quelque chose de plus, si c’était nécessaire, que de présenter une simple note et de se contenter d’une réponse évasive, je suis sûr que l’empereur ne consentira point à accepter la suggestion de sa Seigneurie…[1]. »

L’avertissement était formel, et il eut son contre-coup curieux dans les négociations, au sujet de la Pologne. Désireux de maintenir l’accord avec la France dans la question des duchés, irrité aussi de la réponse hautaine du prince Gortchakov, lord Russell imagina alors, dans les derniers jours de septembre, de déclarer l’empereur de Russie déchu de ses droits sur la Pologne, et il en fit la proposition formelle aux cabinets des Tuileries et de Vienne. On a raconté ici déjà les incidens dramatiques de cette transaction si piteusement avortée[2], et on se bornera maintenant à n’indiquer que le côté par lequel elle touchait aux affaires du Danemark. Le moment était des plus graves. La France adhérait pleinement au projet du ministre britannique, et l’Autriche consentait à y souscrire sous la condition d’une assurance en cas d’attaque de la part de la Russie. Si l’Angleterre eût alors accordé les garanties demandées par la cour de Vienne, la situation aurait peut-être radicalement changée, le salut du Danemark devenait dans tous les cas certain ; mais lord Russell se

  1. Dépêche de M. Grey au comte Russell du 18 septembre.
  2. Voyez la Revue du 1er janvier 1865.