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d’êtres qui lui sont inférieurs. Ainsi il y a un moment où le cerveau du mammifère ressemble à celui du poisson, comme si le poisson s’était arrêté sur le chemin qui mène au mammifère… Chez certains êtres, une reproduction en sens inverse s’opère. Ainsi tel genre placé au plus bas degré d’une famille, avant de revêtir ses caractères propres, présente successivement ceux de tous les genres de la même famille qui lui sont supérieurs. » Rien de plus facile, à l’aide de ces observations, que de créer des races d’animaux, des castes zoologiques propres à accomplir les différens travaux qu’on voudra leur assigner. « C’est ainsi que la science s’en va multipliant, et améliorant de telle sorte les produits du sol et ceux de l’industrie, qu’il devient clair comme le jour que les besoins naturels et artificiels de tous les hommes peuvent recevoir leur pleine et légitime satisfaction. » Les hommes ne sont pauvres que parce qu’ils sont ignorans.

Mais ce rôle matériel n’est qu’une des fonctions secondaires de la science. En créant la doctrine universelle de ce qui est, elle est en train d’instituer une religion, une religion dont l’homme aura été le révélateur, elle est en train surtout de faire une société conforme à la nature de l’homme, « qui sera pour lui non un tombeau ou un bagne, mais un milieu bienfaisant, sain à la fois pour le corps, pour l’âme et pour l’esprit, où tous les devoirs et tous les droits, ceux de l’individu et ceux de la collectivité, seront remplis et garantis. » La science règle la morale et la politique comme la religion. « Elle est l’église et l’état. » Toutes les actions des individus et des nations se réduisent à des opérations scientifiques. « La science gouvernera la société, mais à sa manière : en se bornant à faire éclater le vrai. Ses arrêts ne sont pas ceux du nombre et de la force, ce sont des preuves. » La science prend donc possession du gouvernement, elle organise les rapports des hommes, elle règle la production, elle dirige l’instruction. « Il faut se représenter ainsi le gouvernement de l’avenir : flambeau des esprits, directrice des bras, la science tient à la fois la place de l’église et de l’état. Non pas qu’elle forme une caste ou une classe, un corps extérieur et supérieur à la nation. Non. Où réside-t-elle donc, cette double souveraine ? Qu’on nous montre son palais et ses gardes ! Elle réside dans les esprits ; sa force est dans les habitudes qu’elle leur a inculquées. » Maîtresse de l’enseignement, elle a formé une génération qui sait apprécier la force des preuves, des hommes chez qui l’accord sur le vrai est toujours unanime. On ne vote plus, car l’habitude de voter ne témoigne que de l’incertitude où nous sommes à l’égard du vrai et du faible empire que la vérité exerce sur nous. La nouvelle société constituée par la science apparaît comme une agglomération d’innombrables sociétés particulières correspondant à toutes les divisions du travail. À sa tête est un conseil, « assemblée politique et concile, » qui enregistre les lois théoriques et pratiques, à la découverte desquelles tout le monde a concouru, et qui érige en préceptes, en maximes, les conséquences logiques de ces lois. À des époques déterminées, une assemblée se réunit pour donner, aux propositions