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est une sorte de Dieu intermédiaire substitué à l’autre et muni de tous ses droits. »

Une pareille ambition a sa grandeur et provoque des sentimens puissans. Sans doute elle n’a rien de commun avec la vie spirituelle intérieure, avec le dialogue continu de la conscience chrétienne occupée à s’examiner devant le Dieu juste : elle est tout humaine, et ressemble au zèle qu’un moine avait pour son ordre, un sujet français du XVIIe siècle pour la monarchie ; mais par elle l’homme se sent compris dans un grand établissement durable qu’il préfère à lui-même, dans lequel il s’oublie, pour lequel il travaille et se dévoue. C’était la passion d’un Romain pour sa Rome ; en effet, la Rome nouvelle est à la Rome antique ce qu’une de ces églises à coupole est au Panthéon d’Agrippa, je veux dire une copie altérée, surchargée, la même au fond pourtant, sauf cette différence, que le gouvernement de la seconde Rome, étant spirituel, non temporel, va de l’âme au corps, non du corps à l’âme. Dans l’une comme dans l’autre, il s’agit de régler la vie humaine tout entière d’après un plan préconçu, au-dessous d’une autorité absolue, hors de laquelle tout semble désordre et barbarie. Là où l’un employait la force, l’autre emploie l’habileté, les ménagemens, la patience, les calculs de la diplomatie et de la politique ; mais le fond du cœur n’a pas changé, et, pour les habitudes de l’âme, rien n’est plus semblable à un sénateur romain qu’un prélat catholique.

C’est à ce point de vue qu’il faut se mettre pour comprendre les édifices ecclésiastiques de ce pays. Ils glorifient non le christianisme, mais l’église. Ce nouveau catholicisme s’appuie sur des supports nombreux et tous solides :

Sur l’habitude. — L’homme a l’intelligence moutonnière ; sur cent, il n’y en a pas trois qui aient le loisir ou l’esprit de se faire par eux-mêmes une opinion en matière religieuse. La voie est toute faite : quatre-vingt-dix-sept la suivent ; des trois qui restent, il y en a deux et demi qui, ayant tâtonné infructueusement, rentrent fatigués dans le sentier frayé.

Sur le bel ordre régulier et l’extérieur imposant de l’institution. — Depuis le concile de Trente, la discipline ecclésiastique s’est resserrée ; sous le contre-coup de la réforme, on a pourvu à l’instruction et à la décence du clergé.

Sur la pompe et le prestige du culte et des édifices, sur les grandes œuvres opérées, missions, conversions, sur l’antiquité de l’institution, et tout ce que M. de Chateaubriand a développé dans son beau style.

Sur l’imagination superstitieuse, plus ou moins grande selon les climats, très forte dans les pays du midi, terrible au moment de la