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mort. — Un homme à sang chaud, à conceptions colorées et passionnées, est pris par les yeux. J’en ai vu qui se croyaient raisonneurs et voltairiens : un enterrement, la vue d’une madone dans sa châsse étincelante, parmi les flamboiemens des cierges et les nuages, de parfums, les met hors d’eux, les jette par terre à genoux. Dans ces sortes de têtes, l’idée ne peut pas résister à l’image.

Sur l’utilité répressive. — Les gouvernemens, les gens établis, propriétaires et conservateurs, y trouvent une police de surcroît, celle des choses morales.

Sur la portion de vertu qui s’y développe. — Certaines âmes y naissent nobles, ou, par délicatesse naturelle, retrouvent la poésie de la tradition mystique ; telle Eugénie de Guérin.

Ce ne sont là que les lignes générales ; il y a d’autres traits plus particuliers ajoutés par les jésuites, et qui sont le propre de l’ordre : on fait vingt pas dans cette église, et tout de suite on les aperçoit. Entre ces mains ingénieuses et délicates, la religion s’est faite mondaine ; elle veut plaire, elle pare son temple comme un salon, même elle le pare trop ; on dirait qu’elle fait montre de sa richesse : elle tâche d’amuser les yeux, de les éblouir, de piquer l’attention blasée, de paraître galante et pimpante. Les petites rotondes sur les deux côtés de la grande nef sont de charmans cabinets de marbre, frais et demi-obscurs comme des boudoirs ou des bains de belles dames. Les colonnes de marbre précieux dressent de toutes parts leurs fûts polis, où serpentent des teintes orangées, roses et verdâtres. Une tapisserie de marbres revêt les murs de ses bigarrures luisantes ; aux corniches, de jolis anges de marbre blanc s’élancent, déployant leurs jambes élégantes. Les dorures multipliées courent parmi les chapiteaux, scintillent autour des peintures, s’épanouissent en gloires au-dessus des autels, rampent le long des balustrades en filets lumineux, s’entassent dans les sanctuaires en bouquets ouvragés, en prodigues efflorescences, avec un air de fête qui fait penser à une galerie princière prête pour un bal. Dans ces fauves reflets de l’or, parmi ces incrustations de marbres colorés, à travers l’air encore chargé de vagues parfums d’encens, on voit se remuer de grands groupes de marbre blanc qui proclament le nouvel esprit, celui d’orthodoxie et d’obéissance : la Religion qui terrasse l’Hérésie, l’Église qui accable les faux Docteurs. Sur la gauche s’élève le trône du patron du lieu, le grand autel de saint Ignace, derrière une balustrade de bronze toute peuplée d’aimables petits anges dorés qui jouent, tout encadrée de boules d’agate, tellement ornée et enjolivée que rien ne l’égale, sauf l’échafaudage de figures, de flambeaux, de feuillages, de dorures qui montent au-dessus, entassés et emmêlés comme une garniture de cheminée