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ménager et assidu, il rachètera cinq ou six âmes outre la sienne. Le grand saint Liguori, le théologien le plus accrédité du dernier siècle, avait ce principe : un chrétien zélé est à peu près certain d’éviter l’enfer ; mais comme nul n’est exempt de péché, il est à peu près certain de ne pas éviter le purgatoire : donc, s’il est sensé, il ajoutera tous les jours à son capital d’indulgences. Mettons qu’il gagne cent jours seulement aujourd’hui, — et il le peut par une seule prière, — il sortira du purgatoire trois mois et dix jours plus tôt.

Faute de débouchés et par pauvreté, les paysans doivent fournir des recrues, et, une fois moines, thésauriser en matière d’indulgences comme un campagnard en matière d’écus ; l’occupation est appropriée à leur condition, à leur éducation et à leur intelligence. En outre ils sortent, et pour cinq sous accompagnent les enterremens. Comme l’ordre a gardé quelque chose de son ancien esprit populaire, ils vont visiter les bonnes femmes, indiquent des remèdes, enseignent des oraisons, vendent des amulettes. — Environ quatre mille moines à Rome[1] !

Nous avons parcouru l’église, et nous avons vu plusieurs tableaux du Guide, un charmant Saint Michel, les jambes nues, chaussé de bottines, aimable et brillant page militaire, avec une tête d’amoroso ; tout à côté, et pour contraste, un Saint François du Dominiquin, hâve et consumé. Dans un autre bâtiment est la cellule d’un moine célèbre ; on y a mis un autel, et le pape y vient dire la messe. Toutes ces traces du moyen âge ascétique, cette dévotion d’enfant ou de barbare, cette façon d’exalter et de rabougrir l’homme, me désolent. Le frère qui nous conduit est à peu près fou, c’est un idiot triste ; il pousse de grands soupirs, et répète toujours les mêmes mots, d’une voix détraquée, avec des yeux hagards. Intende poco, dit le frère qui le remplace.

Celui-ci nous mène dans la chapelle souterraine, horrible et étonnant amas de momies. Cinq ans suffisent à la terre du cimetière pour dessécher un corps ; au bout de ce temps, il est tout préparé, et on l’étale. Quatre chambres sont remplies de ces squelettes, et on les y a groupés en manière de décoration. Les fémurs, les omoplates, les humérus, les bassins font des bouquets, des guirlandes, une élégante tapisserie. Un goût curieux et raffiné a disposé tout cet ameublement ; parfois un crâne au bout d’une chaîne de vertèbres descend du plafond, formant une lampe suspendue ; deux bras, avec leurs articulations et leurs mains noueuses étendues, se correspondent en guise de pendans de cheminée. Les os creux de

  1. Stato Delle Anime dell’ alma città di Roma, 1863 ; — en tout 6,494 ecclésiastiques.