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la plus expressive, partout une sorte d’éclat et de joie répandue dans l’agitation, l’entassement des corps renversés, des draperies qui ondoient, des belles chairs lumineuses. L’effet total est celui d’un grand et riche air de bravoure soigné et réussi. Cette peinture si mondaine est l’accompagnement de la restauration jésuitique.

Le cloître des Chartreux, qui est derrière, a été dessiné par Michel-Ange. Je crois qu’il y a peu de choses au monde aussi grandes et aussi simples ; la simplicité surtout, si rare dans les édifices de Rome, produit une impression unique et qu’on n’oublie pas. Une cour énorme, carrée, solitaire, se découvre tout d’un coup, encadrée de colonnes blanches qui portent de petites arcades. Au-dessus luit gaîment le rouge pâle des tuiles. Rien de plus ; de chaque côté, pendant cent trente pas, on voit s’arrondir et s’abaisser la courbe élégante des arcs au-dessus des fûts légers, qui ne se lassent pas de répéter leur svelte colonnade. Au centre jaillit et ondoie une fontaine entre quatre cyprès de douze pieds de tour ; ils bruissent éternellement d’un murmure sonore et charmant, qui fait venir aux lèvres le vers de Théocrite : « les cyprès qui babillent se content ton hyménée. » Leur bruissement est un vrai chant, et au-dessus d’eux, aussi doucement qu’eux, l’eau chante dans sa vasque de pierre. On ne se lasse pas de regarder ces énormes troncs grisâtres, dont la sève surabondante a de siècle en siècle crevassé l’écorce, qui tout de suite montent en un faisceau de branches, mais qui, redressant et serrant leurs rameaux, les gardent tous collés contre leur corps. La pyramide noirâtre, d’une forte et saine couleur, remue incessamment et monte haut dans la lumière, en découpant le clair azur du ciel. La cour, plantée de laitues, d’artichauts, de fraisiers, rit dans ses verdures nouvelles, et de loin en loin, sous les arcades, on voit passer des chartreux silencieusement dans leurs robes blanches.

Notre brave moine, pour compléter notre plaisir, a voulu absolument nous montrer le trésor du couvent, j’entends la chapelle aux reliques. C’est une sorte de crypte où l’on allume de petites torches de cire, dont on porte le bout enflammé jusque sur les vitrines. Au premier coup d’œil, on se croit dans un muséum : toutes les pièces sont étiquetées, et il y en a de toutes les parties du corps. Quelques squelettes sont complets, et l’on voit des cartilages, des portions de peau sous les bandelettes. Dans une vitrine, au-dessous de l’autel, est une momie, saint Liber ; en face est un enfant trouvé avec son père et sa mère dans les catacombes. Rien ne se perd à Rome ; voilà, toute vivante encore, la dévotion du plus noir moyen âge, celle qui régnait au XIe siècle, lorsque le roi Kanut, venant en Italie, achetait pour 100 talens d’or un bras de saint