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tombé aussi bas ; les Romains ne sentent leurs chefs-d’œuvre que par l’admiration des étrangers. C’est que la vraie culture leur est interdite. Impossible de voyager sans un passeport du pape, et ce passeport est souvent refusé. Un artiste italien qu’on me nomme n’a pu obtenir d’aller à Paris. — Allez-y, si vous voulez, mais vous ne rentrerez pas. On craint qu’ils n’en rapportent des maximes libérales.

Les médecins sont des donneurs de lavemens, les avocats des praticiens de chicane. Tous sont confinés dans leur spécialité. La police, qui laisse faire ce que l’on veut, ne souffre pas qu’on s’occupe d’aucune des sciences qui avoisinent la religion ou la politique. Un homme qui étudie et lit beaucoup, même chez lui et portes closes, tombe sous sa surveillance. On le tracasse, on l’assiège de visites domiciliaires pour saisir des livres défendus ; on l’accuse d’avoir des gravures obscènes. Il est soumis au precetto, c’est-à-dire à l’obligation de rentrer chez lui à l’Ave Maria et de n’en pas sortir le soleil couché ; s’il y manque une fois, on l’enferme ; un diplomate étranger me nomme un de ses amis à qui la chose est arrivée. — On cite à Rome un mathématicien et un ou deux antiquaires ; mais en somme les savans y sont méprisés ou inquiétés. Si quelqu’un est érudit, il le cache ou demande excuse pour sa science, la représente comme une manie. L’ignorance est bien venue, elle rend docile.

Quant aux professeurs, les premiers, ceux de l’université, ont trois cents ou quatre cents écus par an et font cinq leçons par semaine ; ceci montre la haute estime qu’on fait de la science. Pour vivre, les uns se font médecins, architectes, les autres employés, bibliothécaires ; plusieurs, qui sont prêtres, ont l’argent de leurs messes, et tous vivent plus que sobrement. J’ai compté dans l’almanach quarante-sept chaires, il y a cinq cents élèves à l’université, environ dix élèves par chaire. Le pape vient d’autoriser un cours de géologie qui a quatre auditeurs ; il n’y a pas de cours d’histoire profane. En revanche, les cours de théologie sont fort nombreux. Ceci montre l’esprit de l’institution ; les sciences du moyen âge y fleurissent, les sciences modernes restent à la porte. Dans la faculté de médecine, point de clinique d’accouchement : pour tout enseignement, on y trouve des tableaux représentant les organes, et ces tableaux sont couverts d’un rideau ; un sot célèbre par son ignorance vient d’y être appelé par une intrigue de femmes. Le reste est à l’avenant. Les professeurs sont des barbiers de village, quelques-uns seulement ont passé une ou deux semaines à Paris, et pratiquent dans les hôpitaux des traitemens qui sont arriérés d’un siècle. Dans l’hospice des maladies de peau, on fait aux teigneux des